Edito 

 ‘Jérusalem’ en débat sur son texte fondateur 

Magdala 2023 fait suite à Magdala 2022… et à tout le travail effectué par les différents chantiers que nous vous avions présentés. Nous nous sommes retrouvés cette année, de la même manière que l’an dernier, toutes les Fraternités réunies autour des assistants apostoliques, frère Bruno Cadoré et sœur Emmanuelle Maupomé. Mais pas comme l’an dernier, car enrichis cette année de tous les échanges et discernements communautaires qui ont jalonné l’année. Interpelés aussi par les crises traversées, les départs et les prises de recul de plusieurs frères et sœurs, la prise de conscience des souffrances de certains, causées par des dysfonctionnements internes que nous avons voulu entendre et prendre en compte. Depuis un an, nos deux Instituts sont comme en synode : les axes de travail prioritaires ont été identifiés l’an dernier et les équipes pour y travailler aussi, et les deux Instituts ont avancé cette année chacun à leur rythme, en se retrouvant au fil de l’année pour partager la réflexion.

Jérusalem réuni pour une parole qui circule

Magdala 2023, c’est aussi – et peut-être d’abord – une ambiance et une méthode.
L’ambiance : le bonheur retrouvé de débattre et d’échanger, réunis entre frères et sœurs. Une ambiance apaisée par contraste avec la mise en lumière nécessaire, l’an dernier, de dysfonctionnements, source de tensions.
La méthode : la parole libre aux frères et sœurs. Une parole qui circule, qui vient de toutes les communautés. Pas d’interventions “magistrales” mais des témoignages, des réflexions, des propositions, ouverts à toutes et tous, sans considération hiérarchique, géographique ou d’ancienneté dans la communauté.

Interroger notre héritage pour mieux vivre notre vocation

En “osant” questionner le Livre de Vie (voir infra), nous, sœurs et frères, avons engagé un processus de changement des mentalités. En amorçant ce travail de fond, nous avons posé les bases d’une réforme attendue et en construction.
Car à terme, il s’agit de rien de moins que de doter nos Fraternités d’un nouveau cadre législatif pour mener une vie communautaire équilibrée, mieux baliser notre chemin.

L’équipe « Information » des Fraternités de Jérusalem.
Sœur Anne, sœur Marie-Laure, frère Grégoire, frère Marc-Abraham
et Paul-Hervé Vintrou (membre des fraternités laïques de Jérusalem)

TRAVAIL EN ASSEMBLÉE FRÈRES-SOEURS  

Le Livre de Vie au cœur des débats

Un axe prioritaire engagé cette année a été le travail sur le statut du Livre de Vie de Jérusalem qui marque la spiritualité de notre famille de Jérusalem. 

Qu’est-ce que le Livre de Vie ?
Le Livre de Vie de Jérusalem est l’écrit fondateur de référence pour les Fraternités monastiques de Jérusalem. Il a été rédigé par frère Pierre-Marie Delfieux en 1978 à la demande des frères et sœurs qui souhaitaient organiser la communauté naissante. Depuis, les frères et sœurs se sont référés à ce texte pour leurs orientations et leur mode de vie. C’est en ce sens que Magdala 2023 l’a étudié.
Par ailleurs, il est aussi un livre spirituel pour les laïcs et consacrés qui s’en inspirent pour leur propre vie. Il est à préciser que nos travaux ne traitent pas de ce rapport au texte qui suppose un angle d’approche très différent. Les débats ouverts à Magdala 2023 interrogeaient uniquement la place et le statut du Livre de Vie dans le cadre communautaire de notre vie religieuse.

Dans le cadre de notre processus de discernement et réforme, il nous avait été demandé de « donner au Livre de Vie sa juste place dans notre vie religieuse ; de mettre en route une lecture critique du Livre de Vie (appropriation et actualisation). »
L’équipe de ce chantier a présenté aux frères et sœurs présents à Magdala le fruit de leur travail qui s’articulait cette année autour de trois axes :
      – interroger l’ensemble des frères et sœurs sur leur rapport au Livre de Vie ;
      – reprendre l’histoire de la rédaction de cet écrit de frère Pierre-Marie en
        lien avec les archives de nos Instituts ;
      – et demander à cinq experts de lire le Livre de Vie et de le commenter
        suivant l’angle de leur spécialité.

Écouter la parole de chacun, chacune

Au fil de l’année, l’équipe de travail de ce chantier (sœurs Edith, Stéphanie et Marie-Elisabeth ; frères Antoine-Emmanuel, Charles-Marie et Mateusz) a interrogé l’ensemble des frères et sœurs sous forme de questionnaires anonymes et différenciés frères et sœurs. Les retours ont montré que, lors de leurs premiers contacts avec les Fraternités, le Livre de Vie a suscité un accueil positif des frères et sœurs, souvent enthousiaste, voire décisif pour leur vocation. Cet engouement a évolué au fur et à mesure des années passées en communauté, se nuançant, avec généralement une prise de distance, voire des positions plus critiques quant à son usage communautaire. Il continue cependant, dans un rapport individuel au texte, à porter la vie spirituelle des frères et sœurs.
Ce constat vient questionner notre lien communautaire au texte du Livre de Vie. Certains aspects interrogent : un regard sur la personne humaine, une vision de la vie spirituelle trop réducteurs, le rapport à l’autorité qui est induit, des raccourcis théologiques qui questionnent, un caractère apologétique et rhétorique excessif, et surtout, une certaine idéalisation qui peut paraître inatteignable. La figure du moine, de la moniale présentée est même parfois jugée comme une espèce abstraite supérieure n’intégrant que trop peu la faiblesse humaine et le rapport au corps.
La question de la place, du statut qui doivent être ceux de cet écrit pour notre vie consacrée est largement posée.

Un travail d’analyse s’appuyant sur une expertise externe

Après l’analyse des questionnaires, les frères et sœurs ont visionné des interventions d’experts, enregistrées en vidéo. Chacun des experts commentait le Livre de Vie selon sa spécialité :
      – Patrick Goujon s.j. (théologien de la spiritualité)
      – Pierre Molinié s.j. (patrologue)
      – Sophie Ramond (exégète)
      – Patrick Prétot o.s.b. et Isaia Gazzola o.cist. (liturgistes et spécialistes des
        règles monastiques)
      – Alessandra Bonifai, Enrico Parolari et Anna Deodato (psychothérapeutes)
Les experts soulignent que le Livre de Vie de Jérusalem, qui décrit abondamment le but du chemin de perfection proposé, n’évoque que très peu le chemin pour y parvenir. Son style rédactionnel tend à abolir la distance qui sépare le lecteur des références proposées, notamment des traditions monastiques et spirituelles convoquées. À bien des égards, le texte reflète les aspirations de ce temps particulier des années 70 désireux d’une spiritualité profonde dans l’immédiateté.

En assemblées séparées (frères d’un côté et sœurs de l’autre), nous avons librement réagi à chaud et échangé avec les membres du chantier, dans une atmosphère d’écoute paisible et bienveillante. Certains frères et sœurs ont manifesté leur désarroi face à ces expertises, alors que beaucoup ont reconnu que les experts avaient mis en mots des choses qu’ils pressentaient ou des difficultés qu’ils ressentaient vis-à-vis du Livre de Vie, apparues au fil des ans.

Chercher une juste place du Livre de Vie

Au cours de nos assemblées, les frères et sœurs ont considéré que, si le Livre de Vie contient des intuitions fondatrices de notre charisme et peut être considéré comme un écrit faisant partie de notre héritage, il ne constitue pas pour autant un texte normatif faisant autorité, d’autant plus qu’il ne contient pas la nécessaire expérience de recul et de vécu.
Le chantier du Livre de Vie a été engagé et reste ouvert. Ce travail critique devra être poursuivi avec méthode et profondeur dans les mois à venir, de façon à ce que chacun, chacune puisse avancer à son rythme. L’avancée et l’engagement du chantier, le travail historique de la rédaction, le sérieux du travail des experts et les échanges foisonnants qui ont suivi montrent qu’il y a ‘un avant et un après’ Magdala 2023.

Les frères et sœurs ont répondu à un sondage proposé par le chantier Livre de Vie. Les résultats ont pour objectif d’aider les prieurs généraux dans leur prise de décision.

90 % des frères et sœurs
 considèrent que le Livre de Vie contient des intuitions fondamentales de ce qu’ils veulent vivre.

90 % des frères et sœurs
considèrent que le Livre de Vie fait partie de l’héritage, mais ne peut constituer un texte normatif pour les Fraternités de Jérusalem.

85 % des frères et sœurs
 considèrent que le texte du Livre de Vie ne peut pas être modifié, ni complété. En revanche, il devra faire l’objet de notes, de commentaires, d’études critiques.

93 % des frères et sœurs
encouragent les prieurs généraux et leurs conseils à aider les fraternités à donner à ce texte sa juste place en revisitant son usage dans nos fraternités.

TRAVAIL EN ASSEMBLÉES DISTINCTES  

Du côté des sœurs : 
exercice de la gouvernance et modalités de l’obéissance

Lundi 21 août 2023

La première journée de travail entre sœurs a eu pour thème la gouvernance. Cela faisait suite au travail effectué en août 2022, aussi à Magdala, et au webinaire sur le thème de l’obéissance que nous avons eu en avril dernier.
Cette journée sous le soleil et la chaleur de la Sologne s’est déroulée dans une atmosphère sereine, paisible, avec des prises de paroles très libres lors des échanges et une écoute constructive. Dans cette confiance mutuelle, les visions communes, comme les regards contradictoires ou singuliers, ont fait grandir notre communion au fil de la journée. Preuve que les sœurs ont bel et bien embarqué dans ce processus de réforme et de discernement, et que l’Institut poursuit son chemin dans une dynamique de vie que nous espérons féconde !
Chacune a pu prendre conscience de la masse de travail effectuée cette année, particulièrement par les sœurs impliquées dans les chantiers, mais aussi par chacune, puisque toutes ont répondu à des questionnaires, échangé, discerné en communautés locales au fil de l’année écoulée.
Notre travail en assemblée de sœurs a été introduit par nos deux assistants apostoliques – sœur Emmanuelle Maupomé et frère Bruno Cadoré – qui ont resitué notre travail dans le chemin de réforme et discernement dans lequel nous sommes engagées, et ont témoigné du sérieux et du courage qu’ils avaient perçus chez les sœurs cette année.

Travail sur les retours d’experts

L’équipe du chantier gouvernance (sœurs Anne-Claire, Claire et Maria-Magdalena) nous a présenté les conclusions des « experts » qui ont travaillé sur le thème de la gouvernance dans notre institut de sœurs. Ils sont nombreux et de compétences et nationalités diverses :  Anne Chapell (médecin, membre de notre cellule d´écoute), Jean-Daniel Hubert (psychologue), Catherine Fabre (avocate), Loïc-Marie Le Bot (canoniste), Daniel Cadrin (Institut de pastorale des dominicains à Montréal), Robert Woźniak (théologien), Władysława Krasiczyńska (psychologue), Christine Klimann (psychologue), Klaus Kleffner (prévention des abus), Enzo Ferraro (canoniste), Luigino Bruni (économiste). Leurs retours concernent un essai d’identification des racines des dysfonctionnements, des points de vigilance, d’attention, de conversion qui touchent quatre grands domaines : le rapport à notre histoire, notre appartenance au corps ecclésial, notre identité et les « zones grises » dans nos relations humaines. Pour chacun de ces domaines, ils nous ont indiqué des voies de sortie à travailler pour faire évoluer nos pratiques actuelles.
Chaque sœur a d’abord été invitée à lire deux de ces expertises, puis toutes se sont retrouvées en groupes de 7-8 pour un partage sur cette lecture. À partir de là, des priorités de travail ont été déterminées et présentées par chacun des groupes en séance plénière. Deux mots ont particulièrement résonné lors de cet échange : fraternité et parole.

Sens, manière et matière de l’obéissance

Nous avons poursuivi, dans l’après-midi, le travail entrepris lors du webinaire sur l’obéissance qui, en avril, avait réuni toutes les sœurs. Il s’agissait de poursuivre la réflexion entreprise sur le sens, la matière et la manière de l’obéissance dans nos Fraternités monastiques de Jérusalem, afin de rédiger un texte qui servirait de référence : que sommes-nous prêtes à assumer chacune et ensemble sur ce sujet ? Des échanges en petits groupes et en assemblée plénière nous ont permis d’avancer en entendant les consensus et les dissensus, et de constater par des sondages où en était la communauté. À partir des textes élaborés, ce travail se poursuivra dans chacune de nos fraternités de sœurs cette année.

Sœurs Anne et Marie-Laure

Du côté des frères : 
culture capitulaire et fraternités renouvelées

Du jeudi 17 au lundi 21 août 2023

Dans une communauté religieuse, l’instance suprême normale pour les décisions d’orientation est le chapitre général. Il se réunit ordinairement tous les 7 ans, mais peut être convoqué en session extraordinaire. Le fonctionnement de cette assemblée législative est fondé sur la capacité à saisir ensemble les enjeux et décider en commun en s’appuyant sur un dialogue responsable. Un chapitre général doit pouvoir faire émerger les orientations de fond et les voter.

Apprendre la culture capitulaire

Dans notre Institut, ces dernières années, nous avons touché du doigt la pauvreté de notre culture en ce domaine (on l’appelle culture capitulaire ou synodale). Cet été, notre assemblée des frères à Burtin – bien que n’étant pas un chapitre général – a été l’occasion de s’enrichir d’une méthode, de la mettre en place et de l’expérimenter pour fortifier la maturité de notre culture capitulaire.
Nous avons appris peu à peu à donner à chacun, et à se donner à soi-même, le droit de parler ouvertement, sincèrement. Même si une opinion n’est pas validée par l’assemblée des frères, elle doit pouvoir s’exprimer et être entendue. Nous avons acquis davantage de savoir-faire et de méthode pour élaborer une proposition en tenant compte de tous les avis, puis pouvoir l’adopter ensemble.
Pour les décisions les plus engageantes, notre processus consiste à clarifier le sujet tous ensemble, puis à se l’approprier en petits groupes. En assemblée plénière, un premier vote indicatif permet ensuite de donner la tendance et de proposer des amendements. Puis chaque paragraphe du texte est voté à main levée, et les avis divergents ont droit d’expression. L’assemblée envisage les moyens de tenir compte de ces avis. Pour conclure, le texte définitif est voté à bulletin secret après un temps de recul et de prière.
Cette méthode a été mise en œuvre pour deux sujets déjà évoqués lors de la rencontre à la Flatière de janvier dernier puis travaillés dans les mois qui ont suivi : la forme de nos fraternités de demain et leur taille, et la question des charges pastorales des églises qui nous sont confiées. Ces sujets qui, au premier abord concernent des questions très concrètes et matérielles, nous ont donné l’opportunité d’élargir la réflexion, nous permettant de préciser les contours de notre vocation de frère de Jérusalem.

Pour des fraternités renouvelées

En ce qui concerne la forme souhaitée pour nos fraternités de frères, il nous fallait au préalable prendre en compte la réalité de nos effectifs probables dans le court et le moyen termes (pour les 10 ans à venir). Les orientations votées s’appuient à la fois sur le réel d’aujourd’hui et ouvrent de nouvelles perspectives : il est par exemple envisagé que les fraternités puissent être composées ordinairement de trois à cinq frères, mais avec l’impératif d’un renouvellement du mode de vie et de l’organisation du quotidien afin qu’ils assurent aux frères un équilibre de vie qui soit propice à la prière, à la vie fraternelle et au travail paisible. Entre ces fraternités renouvelées, l’unité sera notamment fondée sur un style propre marqué par le caractère fraternel des relations, entre frères, avec les sœurs, et avec le monde.

Apostolats et charges de recteur

Le deuxième sujet concerne la dimension pastorale de notre vie de frères.
Nous avons affirmé que l’apostolat n’était plus une mission de la communauté dans son ensemble. Ce type d’activités ou de travail peut relever d’un appel personnel de certains frères. Nos échanges se sont ensuite concentrés sur la charge de recteur dans les églises qui nous sont confiées. Nous souhaitons engager une relecture et un état des lieux sur ce sujet au niveau de chaque implantation en y associant les sœurs, réfléchir à la manière de collaborer avec le recteur, qu’il soit ou non un frère de Jérusalem, et relire nos fonctionnements internes, nos collaborations avec les fidèles et avec les diocèses et leurs pasteurs. Dans ce contexte, pour les cinq prochaines années, nous choisissons de ne pas accepter de nouveaux mandats de recteur jusqu’à ce que cette réflexion ait abouti.

Le troisième sujet abordé était destiné à préciser quelques caractéristiques de notre identité propre : notre rapport à la liturgie et notre relation au monde. Nous avons ainsi pu travailler sur quelques points concrets afin de les situer vis-à-vis du cœur de notre vocation.

Frères Grégoire et Marc-Abraham

ET MAINTENANT…  

Vous avez dit Constitutions ?

Après avoir repéré et dénoncé les dysfonctionnements qui avaient conduit à bien des souffrances, puis défini les chantiers prioritaires pour construire de nouvelles bases, l’étape de cet été engage désormais nos communautés sur une nouvelle trajectoire. Les travaux de certains chantiers sont encore en cours et ils vont se poursuivre. Nous vous en donnerons des échos dans la prochaine lettre Discernement & réforme.
Dès à présent, les assistants apostoliques nous demandent de débuter la révision de nos Constitutions. Les Constitutions d’un Institut définissent ses règles propres, et constituent le cadre législatif adapté à son identité et aux inspirations qui le font vivre. Ayant reconnu que le Livre de Vie ne peut faire office de règle pour nos Fraternités, il nous faut cependant discerner et mettre en valeur les intuitions essentielles qu’il contient afin de les intégrer ensuite dans le texte des Constitutions.
En nous appuyant sur le travail des neuf chantiers, nous allons désormais devoir amender, étoffer et enrichir nos Constitutions, leur donner un élan et une trajectoire qui tiennent compte des années d’expériences accumulées, des inspirations que nous confirmons et des situations que nous ne voulons plus voire perdurer. Il nous faudra solliciter un nouvel expert, en droit canonique cette fois.
Travail de synthèse, de rédaction, de validation… Cette étape ouvre désormais la marche jusqu’à des Chapitres généraux qui devront voter les options retenues.

© 2023 Fraternités Monastiques de Jérusalem  
Lettre d’information « Discernement & réforme » – communication@fraternites-jerusalem.org

Edito

‘Jérusalem’ en débat sur son texte fondateur

Magdala 2023 fait suite à Magdala 2022… et à tout le travail effectué par les différents chantiers que nous vous avions présentés. Nous nous sommes retrouvés cette année, de la même manière que l’an dernier, toutes les Fraternités réunies autour des assistants apostoliques, frère Bruno Cadoré et sœur Emmanuelle Maupomé. Mais pas comme l’an dernier, car enrichis cette année de tous les échanges et discernements communautaires qui ont jalonné l’année. Interpelés aussi par les crises traversées, les départs et les prises de recul de plusieurs frères et sœurs, la prise de conscience des souffrances de certains, causées par des dysfonctionnements internes que nous avons voulu entendre et prendre en compte. Depuis un an, nos deux Instituts sont comme en synode : les axes de travail prioritaires ont été identifiés l’an dernier et les équipes pour y travailler aussi, et les deux Instituts ont avancé cette année chacun à leur rythme, en se retrouvant au fil de l’année pour partager la réflexion.

Jérusalem réuni pour une parole qui circule

Magdala 2023, c’est aussi – et peut-être d’abord – une ambiance et une méthode.
L’ambiance : le bonheur retrouvé de débattre et d’échanger, réunis entre frères et sœurs. Une ambiance apaisée par contraste avec la mise en lumière nécessaire, l’an dernier, de dysfonctionnements, source de tensions.
La méthode : la parole libre aux frères et sœurs. Une parole qui circule, qui vient de toutes les communautés. Pas d’interventions “magistrales” mais des témoignages, des réflexions, des propositions, ouverts à toutes et tous, sans considération hiérarchique, géographique ou d’ancienneté dans la communauté.

Interroger notre héritage pour mieux vivre notre vocation

En “osant” questionner le Livre de Vie (voir infra), nous, sœurs et frères, avons engagé un processus de changement des mentalités. En amorçant ce travail de fond, nous avons posé les bases d’une réforme attendue et en construction.
Car à terme, il s’agit de rien de moins que de doter nos Fraternités d’un nouveau cadre législatif pour mener une vie communautaire équilibrée, mieux baliser notre chemin.

L’équipe « Information » des Fraternités de Jérusalem.
Sœur Anne, sœur Marie-Laure, frère Grégoire, frère Marc-Abraham
et Paul-Hervé Vintrou (membre des fraternités laïques de Jérusalem)

TRAVAIL EN ASSEMBLÉE FRÈRES-SOEURS  

Le Livre de Vie au cœur des débats

Un axe prioritaire engagé cette année a été le travail sur le statut du Livre de Vie de Jérusalem qui marque la spiritualité de notre famille de Jérusalem. 

Qu’est-ce que le Livre de Vie ?
Le Livre de Vie de Jérusalem est l’écrit fondateur de référence pour les Fraternités monastiques de Jérusalem. Il a été rédigé par frère Pierre-Marie Delfieux en 1978 à la demande des frères et sœurs qui souhaitaient organiser la communauté naissante. Depuis, les frères et sœurs se sont référés à ce texte pour leurs orientations et leur mode de vie. C’est en ce sens que Magdala 2023 l’a étudié.
Par ailleurs, il est aussi un livre spirituel pour les laïcs et consacrés qui s’en inspirent pour leur propre vie. Il est à préciser que nos travaux ne traitent pas de ce rapport au texte qui suppose un angle d’approche très différent. Les débats ouverts à Magdala 2023  interrogeaient uniquement la place et le statut du Livre de Vie dans le cadre communautaire de notre vie religieuse.

Dans le cadre de notre processus de discernement et réforme, il nous avait été demandé de « donner au Livre de Vie sa juste place dans notre vie religieuse ; de mettre en route une lecture critique du Livre de Vie (appropriation et actualisation). »
L’équipe de ce chantier a présenté aux frères et sœurs présents à Magdala le fruit de leur travail qui s’articulait cette année autour de trois axes :
      – interroger l’ensemble des frères et sœurs sur leur rapport au Livre de Vie ;
      – reprendre l’histoire de la rédaction de cet écrit de frère Pierre-Marie en
        lien avec les archives de nos Instituts ;
      – et demander à cinq experts de lire le Livre de Vie et de le commenter
        suivant l’angle de leur spécialité.

Écouter la parole de chacun, chacune

Au fil de l’année, l’équipe de travail de ce chantier (sœurs Edith, Stéphanie et Marie-Elisabeth ; frères Antoine-Emmanuel, Charles-Marie et Mateusz) a interrogé l’ensemble des frères et sœurs sous forme de questionnaires anonymes et différenciés frères et sœurs. Les retours ont montré que, lors de leurs premiers contacts avec les Fraternités, le Livre de Vie a suscité un accueil positif des frères et sœurs, souvent enthousiaste, voire décisif pour leur vocation. Cet engouement a évolué au fur et à mesure des années passées en communauté, se nuançant, avec généralement une prise de distance, voire des positions plus critiques quant à son usage communautaire. Il continue cependant, dans un rapport individuel au texte, à porter la vie spirituelle des frères et sœurs.
Ce constat vient questionner notre lien communautaire au texte du Livre de Vie. Certains aspects interrogent : un regard sur la personne humaine, une vision de la vie spirituelle trop réducteurs, le rapport à l’autorité qui est induit, des raccourcis théologiques qui questionnent, un caractère apologétique et rhétorique excessif, et surtout, une certaine idéalisation qui peut paraître inatteignable. La figure du moine, de la moniale présentée est même parfois jugée comme une espèce abstraite supérieure n’intégrant que trop peu la faiblesse humaine et le rapport au corps.
La question de la place, du statut qui doivent être celles de cet écrit pour notre vie consacrée est largement posée.

Un travail d’analyse s’appuyant sur une expertise externe

Après l’analyse des questionnaires, les frères et sœurs ont visionné des interventions d’experts, enregistrées en vidéo. Chacun des experts commentait le Livre de Vie selon sa spécialité :
      – Patrick Goujon s.j. (théologien de la spiritualité)
      – Pierre Molinié s.j. (patrologue)
      – Sophie Ramond (exégète)
      – Patrick Prétot o.s.b. et Isaia Gazzola o.cist. (liturgistes et spécialistes des
        règles monastiques)
      – Alessandra Bonifai, Enrico Parolari et Anna Deodato (psychothérapeutes)
Les experts soulignent que le Livre de Vie de Jérusalem, qui décrit abondamment le but du chemin de perfection proposé, n’évoque que très peu le chemin pour y parvenir. Son style rédactionnel tend à abolir la distance qui sépare le lecteur des références proposées, notamment des traditions monastiques et spirituelles convoquées. À bien des égards, le texte reflète les aspirations de ce temps particulier des années 70 désireux d’une spiritualité profonde dans l’immédiateté.

En assemblées séparées (frères d’un côté et sœurs de l’autre), nous avons librement réagi à chaud et échangé avec les membres du chantier, dans une atmosphère d’écoute paisible et bienveillante. Certains frères et sœurs ont manifesté leur désarroi face à ces expertises, alors que beaucoup ont reconnu que les experts avaient mis en mots des choses qu’ils pressentaient ou des difficultés qu’ils ressentaient vis-à-vis du Livre de Vie, apparues au fil des ans.

Chercher une juste place du Livre de Vie

Au cours de nos assemblées, les frères et sœurs ont considéré que, si le Livre de Vie contient des intuitions fondatrices de notre charisme et peut être considéré comme un écrit faisant partie de notre héritage, il ne constitue pas pour autant un texte normatif faisant autorité, d’autant plus qu’il ne contient pas la nécessaire expérience de recul et de vécu.
Le chantier du Livre de Vie a été engagé et reste ouvert. Ce travail critique devra être poursuivi avec méthode et profondeur dans les mois à venir, de façon à ce que chacun, chacune puisse avancer à son rythme. L’avancée et l’engagement du chantier, le travail historique de la rédaction, le sérieux du travail des experts et les échanges foisonnants qui ont suivi montrent qu’il y a ‘un avant et un après’ Magdala 2023.

Les frères et sœurs ont répondu à un sondage proposé par le chantier Livre de Vie. Les résultats ont pour objectif d’aider les prieurs généraux dans leur prise de décision.

90 % des frères et sœurs
 considèrent que le Livre de Vie contient des intuitions fondamentales de ce qu’ils veulent vivre.

90 % des frères et sœurs
considèrent que le Livre de Vie fait partie de l’héritage, mais ne peut constituer un texte normatif pour les Fraternités de Jérusalem.

85 % des frères et sœurs
 considèrent que le texte du Livre de Vie ne peut pas être modifié, ni complété. En revanche, il devra faire l’objet de notes, de commentaires, d’études critiques.

93 % des frères et sœurs
encouragent les prieurs généraux et leurs conseils à aider les fraternités à donner à ce texte sa juste place en revisitant son usage dans nos fraternités.

TRAVAIL EN ASSEMBLÉES DISTINCTES  

Du côté des sœurs : 
exercice de la gouvernance et modalités de l’obéissance

Lundi 21 août 2023

La première journée de travail entre sœurs a eu pour thème la gouvernance. Cela faisait suite au travail effectué en août 2022, aussi à Magdala, et au webinaire sur le thème de l’obéissance que nous avons eu en avril dernier.
Cette journée sous le soleil et la chaleur de la Sologne s’est déroulée dans une atmosphère sereine, paisible, avec des prises de paroles très libres lors des échanges et une écoute constructive. Dans cette confiance mutuelle, les visions communes, comme les regards contradictoires ou singuliers, ont fait grandir notre communion au fil de la journée. Preuve que les sœurs ont bel et bien embarqué dans ce processus de réforme et de discernement, et que l’Institut poursuit son chemin dans une dynamique de vie que nous espérons féconde !
Chacune a pu prendre conscience de la masse de travail effectuée cette année, particulièrement par les sœurs impliquées dans les chantiers, mais aussi par chacune, puisque toutes ont répondu à des questionnaires, échangé, discerné en communautés locales au fil de l’année écoulée.
Notre travail en assemblée de sœurs a été introduit par nos deux assistants apostoliques – sœur Emmanuelle Maupomé et frère Bruno Cadoré – qui ont resitué notre travail dans le chemin de réforme et discernement dans lequel nous sommes engagées, et ont témoigné du sérieux et du courage qu’ils avaient perçus chez les sœurs cette année.

Travail sur les retours d’experts

L’équipe du chantier gouvernance (sœurs Anne-Claire, Claire et Maria-Magdalena) nous a présenté les conclusions des « experts » qui ont travaillé sur le thème de la gouvernance dans notre institut de sœurs. Ils sont nombreux et de compétences et nationalités diverses :  Anne Chapell (médecin, membre de notre cellule d´écoute), Jean-Daniel Hubert (psychologue), Catherine Fabre (avocate), Loïc-Marie Le Bot (canoniste), Daniel Cadrin (Institut de pastorale des dominicains à Montréal), Robert Woźniak (théologien), Władysława Krasiczyńska (psychologue), Christine Klimann (psychologue), Klaus Kleffner (prévention des abus), Enzo Ferraro (canoniste), Luigino Bruni (économiste). Leurs retours concernent un essai d’identification des racines des dysfonctionnements, des points de vigilance, d’attention, de conversion qui touchent quatre grands domaines : le rapport à notre histoire, notre appartenance au corps ecclésial, notre identité et les « zones grises » dans nos relations humaines. Pour chacun de ces domaines, ils nous ont indiqué des voies de sortie à travailler pour faire évoluer nos pratiques actuelles.
Chaque sœur a d’abord été invitée à lire deux de ces expertises, puis toutes se sont retrouvées en groupes de 7-8 pour un partage sur cette lecture. À partir de là, des priorités de travail ont été déterminées et présentées par chacun des groupes en séance plénière. Deux mots ont particulièrement résonné lors de cet échange : fraternité et parole.

Sens, manière et matière de l’obéissance

Nous avons poursuivi, dans l’après-midi, le travail entrepris lors du webinaire sur l’obéissance qui, en avril, avait réuni toutes les sœurs. Il s’agissait de poursuivre la réflexion entreprise sur le sens, la matière et la manière de l’obéissance dans nos Fraternités monastiques de Jérusalem, afin de rédiger un texte qui servirait de référence : que sommes-nous prêtes à assumer chacune et ensemble sur ce sujet ? Des échanges en petits groupes et en assemblée plénière nous ont permis d’avancer en entendant les consensus et les dissensus, et de constater par des sondages où en était la communauté. À partir des textes élaborés, ce travail se poursuivra dans chacune de nos fraternités de sœurs cette année.

Sœurs Anne et Marie-Laure

Du côté des frères : 
culture capitulaire et fraternités renouvelées

Du jeudi 17 au lundi 21 août 2023

Dans une communauté religieuse, l’instance suprême normale pour les décisions d’orientation est le chapitre général. Il se réunit ordinairement tous les 7 ans, mais peut être convoqué en session extraordinaire. Le fonctionnement de cette assemblée législative est fondé sur la capacité à saisir ensemble les enjeux et décider en commun en s’appuyant sur un dialogue responsable. Un chapitre général doit pouvoir faire émerger les orientations de fond et les voter.

Apprendre la culture capitulaire

Dans notre Institut, ces dernières années, nous avons touché du doigt la pauvreté de notre culture en ce domaine (on l’appelle culture capitulaire ou synodale). Cet été, notre assemblée des frères à Burtin – bien que n’étant pas un chapitre général – a été l’occasion de s’enrichir d’une méthode, de la mettre en place et de l’expérimenter pour fortifier la maturité de notre culture capitulaire.
Nous avons appris peu à peu à donner à chacun, et à se donner à soi-même, le droit de parler ouvertement, sincèrement. Même si une opinion n’est pas validée par l’assemblée des frères, elle doit pouvoir s’exprimer et être entendue. Nous avons acquis davantage de savoir-faire et de méthode pour élaborer une proposition en tenant compte de tous les avis, puis pouvoir l’adopter ensemble.
Pour les décisions les plus engageantes, notre processus consiste à clarifier le sujet tous ensemble, puis à se l’approprier en petits groupes. En assemblée plénière, un premier vote indicatif permet ensuite de donner la tendance et de proposer des amendements. Puis chaque paragraphe du texte est voté à main levée, et les avis divergents ont droit d’expression. L’assemblée envisage les moyens de tenir compte de ces avis. Pour conclure, le texte définitif est voté à bulletin secret après un temps de recul et de prière.
Cette méthode a été mise en œuvre pour deux sujets déjà évoqués lors de la rencontre à la Flatière de janvier dernier puis travaillés dans les mois qui ont suivi : la forme de nos fraternités de demain et leur taille, et la question des charges pastorales des églises qui nous sont confiées. Ces sujets qui, au premier abord concernent des questions très concrètes et matérielles, nous ont donné l’opportunité d’élargir la réflexion, nous permettant de préciser les contours de notre vocation de frère de Jérusalem.

Pour des fraternités renouvelées

En ce qui concerne la forme souhaitée pour nos fraternités de frères, il nous fallait au préalable prendre en compte la réalité de nos effectifs probables dans le court et le moyen termes (pour les 10 ans à venir). Les orientations votées s’appuient à la fois sur le réel d’aujourd’hui et ouvrent de nouvelles perspectives : il est par exemple envisagé que les fraternités puissent être composées ordinairement de trois à cinq frères, mais avec l’impératif d’un renouvellement du mode de vie et de l’organisation du quotidien afin qu’ils assurent aux frères un équilibre de vie qui soit propice à la prière, à la vie fraternelle et au travail paisible. Entre ces fraternités renouvelées, l’unité sera notamment fondée sur un style propre marqué par le caractère fraternel des relations, entre frères, avec les sœurs, et avec le monde.

Apostolats et charges de recteur

Le deuxième sujet concerne la dimension pastorale de notre vie de frères.
Nous avons affirmé que l’apostolat n’était plus une mission de la communauté dans son ensemble. Ce type d’activités ou de travail peut relever d’un appel personnel de certains frères. Nos échanges se sont ensuite concentrés sur la charge de recteur dans les églises qui nous sont confiées. Nous souhaitons engager une relecture et un état des lieux sur ce sujet au niveau de chaque implantation en y associant les sœurs, réfléchir à la manière de collaborer avec le recteur, qu’il soit ou non un frère de Jérusalem, et relire nos fonctionnements internes, nos collaborations avec les fidèles et avec les diocèses et leurs pasteurs. Dans ce contexte, pour les cinq prochaines années, nous choisissons de ne pas accepter de nouveaux mandats de recteur jusqu’à ce que cette réflexion ait abouti.

Le troisième sujet abordé était destiné à préciser quelques caractéristiques de notre identité propre : notre rapport à la liturgie et notre relation au monde. Nous avons ainsi pu travailler sur quelques points concrets afin de les situer vis-à-vis du cœur de notre vocation.

Frères Grégoire et Marc-Abraham

ET MAINTENANT…  

Vous avez dit Constitutions ?

Après avoir repéré et dénoncé les dysfonctionnements qui avaient conduit à bien des souffrances, puis défini les chantiers prioritaires pour construire de nouvelles bases, l’étape de cet été engage désormais nos communautés sur une nouvelle trajectoire. Les travaux de certains chantiers sont encore en cours et ils vont se poursuivre. Nous vous en donnerons des échos dans la prochaine lettre Discernement & réforme.
Dès à présent, les assistants apostoliques nous demandent de débuter la révision de nos Constitutions. Les Constitutions d’un Institut définissent ses règles propres, et constituent le cadre législatif adapté à son identité et aux inspirations qui le font vivre. Ayant reconnu que le Livre de Vie ne peut faire office de règle pour nos Fraternités, il nous faut cependant discerner et mettre en valeur les intuitions essentielles qu’il contient afin de les intégrer ensuite dans le texte des Constitutions.
En nous appuyant sur le travail des neuf chantiers, nous allons désormais devoir amender, étoffer et enrichir nos Constitutions, leur donner un élan et une trajectoire qui tiennent compte des années d’expériences accumulées, des inspirations que nous confirmons et des situations que nous ne voulons plus voire perdurer. Il nous faudra solliciter un nouvel expert, en droit canonique cette fois.
Travail de synthèse, de rédaction, de validation… Cette étape ouvre désormais la marche jusqu’à des Chapitres généraux qui devront voter les options retenues.

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