le Pourquoi et le comment

de la liturgie de « Jérusalem »

« Lève, au cœur de la ville, les deux bras de la louange et de l’intercession. Chaque jour, appelle sur elle sa bénédiction. »
Livre de Vie de Jérusalem, § 130

Les pieds bien plantés sur le sol, les bras levés vers le ciel, voici des moines et des moniales vêtus de blanc, priant ensemble, côte à côte. Trois fois par jour ils se retrouvent ainsi dans leur église, le plus souvent en pleine ville, parfois dans des hauts-lieux comme Vézelay ou le Mont-Saint-Michel. Mais que viennent-ils donc y vivre ?

Un grand dialogue entre le ciel et la terre

Tout d’abord, c’est l’amour qui nous attirés là. Un double amour semble-t-il, celui de Dieu que nous venons louer, celui de nos frères les hommes pour qui et avec qui nous venons prier. Ou plutôt c’est un unique amour qui, à travers notre prière est appelé à circuler de Dieu vers les hommes, et des hommes vers Dieu.

Si vous participez à une de nos liturgies, ce sont probablement les chants, principalement la psalmodie qui vous frapperont l’oreille en premier, comme autant de paroles que l’homme adresse à Dieu. Mais la liturgie est peut-être avant tout une œuvre d’écoute : écoute de Dieu dans sa Parole, proclamée à chaque office, écoute de Dieu parlant au cœur dans le silence des temps d’oraison (prière personnelle) que nous vivons ensemble avant les liturgies du matin et du soir, écoute également des Pères de l’Église, nos devanciers dans la foi, dont les commentaires bibliques nourrissent notre méditation, écoute encore de chacun des frères et sœurs, pour que s’ajuste harmonieusement la polyphonie des voix.

Paroles et silence, écoute et réponse, telle est donc la trame essentielle de ces liturgies qui se vivent comme un grand dialogue entre le ciel et la terre. Ce dialogue est à l’image de celui qui se vit de toute éternité au sein de la Trinité entre le Père et le Fils, et dans lequel nos liturgies humaines viennent s’insérer, humblement mais réellement, par l’action de l’Esprit-Saint. Il est le « maître d’œuvre de la prière », aussi l’invoquons-nous au début de chaque liturgie, car lui seul peut nous enseigner à prier comme il faut.

Nous sommes des héritiers

Entrant jour après jour dans ce grand dialogue, nous avons conscience d’être les héritiers de toute une tradition. Voilà 2000 ans que l’Église, par sa liturgie, entretient ce dialogue avec son Seigneur. Elle-même a reçu une grande partie des mots de sa prière de la tradition juive. Cela est particulièrement visible avec le chant des psaumes, qui constituent la trame essentielle de chacune de nos liturgies. Les psaumes, ce sont ces 150 poèmes de la Bible avec lesquels, en toutes circonstances – même les plus extrêmes ! – le croyant s’adresse à son Dieu. Ainsi, c’est dans la Bible qu’avec tant d’autres, juifs et chrétiens, nous puisons les mots mêmes de notre prière de chaque jour, comme si Dieu venait lui-même nous souffler comment nous pouvons nous adresser à lui.

Héritiers, nous le sommes aussi lorsque nous chantons. Nous sommes de tradition catholique romaine, mais catholique, justement, cela veut dire « universel ». C’est pour cela que nos premiers frères et sœurs ont fait le choix de placer la liturgie de Jérusalem au carrefour de plusieurs traditions, entre Orient et Occident chrétiens. Côté Orient, nous chantons des polyphonies de la liturgie russe ou grecque (hymnes, tropaires, antiennes issus du travail de transcription et de traduction réalisé par l’abbaye de Chevetogne). Côté Occident, nous puisons surtout à la « Liturgie chorale du peuple de Dieu » du Père André Gouzes o.p. qui sont des compositions récentes, mais dont les mélodies tirent leur inspiration de tout un patrimoine ancien : grégorien, chorals, chants traditionnels… Leurs textes, quant à eux, s’inspirent, comme pour la liturgie orientale, de la Bible et des Pères de l’Église. Ces chants sont traduits et adaptés à la langue de chacune de nos d’implantations. D’un lieu à l’autre, le répertoire est aussi enrichi d’apports locaux qui insèrent concrètement notre liturgie dans celle de l’Église locale. Il s’agit donc d’un tissage fait de neuf et d’ancien, où l’ancien donne toute sa saveur au neuf, et où le neuf permet une nouvelle possibilité d’expression de l’ancien : on retrouve ici la dynamique même du Concile Vatican II, dans le sillage duquel les Fraternités de Jérusalem ont été fondées.

De jour en jour, prier avec la ville

La liturgie est un grand trésor appelé à vivre et se déployer, si seulement nous voulons bien entrer dans son mouvement… Il y a là une invitation large, faite à tout baptisé, pas seulement aux moines et aux moniales ! C’est pourquoi nous avons choisi de vivre notre prière en ville, afin de ne pas prier seulement pour nos frères les hommes mais aussi avec eux. La prière est comme une oasis de paix dans le grand tourbillon de la ville, et c’est pourquoi, trois fois par jour, nous ouvrons notre prière à tous.

Tôt le matin avant le travail, la louange inaugure la journée avec l’office des Laudes. À midi trente, certains profitent de leur pause déjeuner pour nous rejoindre à l’office du milieu du jour. En fin de journée, après le travail, les vêpres et l’eucharistie nous permettent de déposer tout ce que nous avons vécu dans la journée entre les mains de Dieu. Le dernier office de la journée est toutefois une exception : les Complies sont vécues comme un moment d’intimité communautaire, non pas à l’église mais dans l’oratoire de chaque fraternité. Il est bon à certains moments de se retrouver en cœur à cœur avec Dieu et la communauté, car une ouverture vraie au monde ne peut se vivre sans certains temps de retrait. C’est ce que nous vivons également chaque lundi, notre « jour de désert ». Chaque frère et sœur célèbre alors les offices liturgiques dans la solitude de la cellule, à l’exception de la messe.

De commencements en commencements…

Le dimanche, jour du Seigneur a un éclat particulier dans notre rythme hebdomadaire. La messe solennelle rassemble frères, sœurs et fidèles pour célébrer ensemble la résurrection du Christ, la victoire du Vivant sur la mort ! Bien sûr, chaque messe, qu’elle soit ou non solennelle, célèbre ce même mystère. Mais le dimanche a une tonalité particulière, un goût singulier de résurrection qui le fait ressembler à un « petit jour de Pâques ». Or Pâques est la fête des fêtes, qui brille de tout son éclat dans l’année liturgique. Elle est le point central autour duquel s’organisent toutes les autres fêtes et temps forts (Avent, Carême et Temps Pascal)
qui ponctuent l’année.

Ainsi la liturgie nous donne-t-elle d’expérimenter que dans le christianisme, le temps n’est pas tout à fait linéaire : de semaine en semaine, d’année en année, les mêmes fêtes semblent reviennent de manière cyclique. Leur sens en est ainsi sans cesse approfondi pour que nous entrions progressivement de tout notre être dans les profondeurs d’un mystère qui nous dépasse et nous fait vivre. Oui, de tout nous-mêmes, avec nos pieds bien plantés sur le sol, nos mains élevées en prière, nos cœurs réjouis par la polyphonie des voix et les volutes parfumées de l’encens… Alors au cœur des villes où nous sommes, nos vies deviennent peu à peu don et offrande, en se joignant à l’unique offrande que nous célébrons chaque jour à la messe : celle du Christ à son Père.