Edito – Fin et commencement…
Du 21 juin au 13 juillet, Jérusalem entérine la réforme annoncée il y a plus de trois ans. L’assemblée des sœurs, comme celle des frères, sera amenée à se prononcer et à adopter de nouvelles constitutions qui sont le fruit des chantiers du processus de discernement et réforme.
Avec ces nouvelles constitutions, chacun des instituts, dans son identité et dans le respect de sa singularité, tirera les leçons du passé et pourra préparer son avenir. Il s’agit donc d’une étape importante qui consacre de nouvelles gouvernances pour porter la même espérance.
Une étape importante, mais pas la fin de l’histoire. Une histoire commune sur laquelle les frères et les sœurs se pencheront à l’occasion d’un temps de travail commun pour prendre connaissance des premières avancées des recherches des historiens.
Une histoire qui reste un présent à partager au sein de chacun des instituts, comme le démontre l’écho de l’espace d’écoute des sœurs que nous publions dans cette lettre.
Cet été, un premier cycle arrive à son terme, avec des décisions fortes et concrètes qui changeront la vie de et en Jérusalem. Ce cycle en ouvre nécessairement d’autres, qui devront continuer à se nourrir des travaux et des témoignages de toutes celles et de tous ceux qui cheminent ou ont croisé le chemin d’espérance de Jérusalem.
L’équipe « Information » des Fraternités de Jérusalem.
Sœur Marie-Laure, sœur Marlene, frère Grégoire, frère Marc-Abraham
et Paul-Hervé Vintrou (membre des fraternités laïques de Jérusalem)

INTERVIEW
Entretien avec frère Jean-Christophe

Au terme de son mandat de prieur général, notre équipe a questionné
frère Jean-Christophe
- Qu’est-ce que le travail d’un prieur général ?
Frère Jean-Christophe : D’abord, c’est mettre sa foi dans le Seigneur. Je me dis souvent : « ce n’est pas mon œuvre, Seigneur, c’est ton œuvre ». Prier est l’exigence première. Ensuite, c’est être frère avec ses frères, marcher avec eux, chercher ensemble. Être au service de la communion.
Très concrètement, cela veut dire visiter les fraternités chaque année, rencontrer les frères, individuellement et ensemble en chapitre, discerner avec chacun ce qui est bon pour lui, et avec la fraternité ce qui est bon pour le corps communautaire. Il m’arrive parfois d’engager un discernement avec un frère pour un parcours de formation ou pour un changement de fraternité, mais aussi d’affermir ceux qui se découragent.
Il me revient donc de donner un cap, une vision d’avenir, d’apporter un regard nouveau à la fraternité. Le travail consiste aussi à favoriser la coresponsabilité. Une tâche importante du prieur général est l’accompagnement des prieurs locaux dans leur mission par la formation, l’écoute, les conseils.
Enfin, je ne suis pas seul. Le travail principal se vit en équipe avec le conseil de l’institut. Depuis le début de la réforme, j’ai demandé à mon conseil un engagement beaucoup plus important qu’auparavant, avec des réunions hebdomadaires, voire plus fréquentes.
Le travail de gestion est par ailleurs chronophage : veiller à l’équilibre économique, suivre les dossiers des structures financières, juridiques, canoniques, s’entourer de personnes compétentes. Comme interlocuteur officiel qui représente l’institut, je suis régulièrement en dialogue avec la prieure générale des sœurs, les évêques des diocèses où nous sommes implantés, les instances ecclésiales et civiles, le Dicastère à Rome, la CORREF… Bref, c’est une mission à la fois spirituelle, fraternelle, organisationnelle… et bien remplie !
- Quels sont les joies que tu as vécues au cours de tes deux mandats ? Et puis aussi, peut-être le plus difficile ou le plus douloureux que tu voudrais partager.
Frère Jean-Christophe : Ma plus grande joie, vraiment, c’est l’esprit de fraternité. Ce n’est pas lié à un événement en particulier, c’est plus profond que ça. C’est un climat, une manière d’être ensemble entre frères, quelque chose qui habite notre vie communautaire. Et puis, le travail avec les frères, avec mon conseil, c’est aussi une vraie joie. C’est stimulant, cela permet d’aller toujours plus loin que ce qu’on aurait fait tout seul.
Les engagements des frères par la profession monastique ont toujours été des moments très forts, très beaux. C’est vrai qu’il n’y en a pas eu récemment, donc cette joie-là s’est un peu estompée, mais chaque engagement reste une grande joie à vivre.
Et puis une joie profonde, toute récente : c’est le vote de notre propos fondamental l’été dernier durant l’assemblée des frères. Ça a été un moment fort, parce que tous les frères l’ont approuvé, et on sentait que chacun y avait vraiment mis du sien. Il y a eu un vrai travail personnel et communautaire, et ça donne sens à notre vocation. Pour moi, c’est une vraie force pour l’avenir.
Pour ce qui est des difficultés… Ce n’est pas facile d’en parler, peut-être parce que je n’ai pas encore assez de recul. Mais je dirais que les moments les plus durs, ce sont les deuils à vivre. Notamment la fermeture de trois maisons pendant ces quatorze années : la Trinité-des-Monts, Bruxelles, Cologne. Et aussi la mise entre parenthèses du noviciat depuis deux ans. Il y a aussi le départ d’un certain nombre de frères.
Mais je crois que ce qui est le plus difficile, au fond, c’est l’accompagnement humain. Trouver la justesse dans la relation, essayer d’être juste envers chacun, ce n’est pas évident. Et chercher cette justesse, ça veut dire aussi accepter de se remettre en question, reconnaître quand on s’est trompé. C’est parfois douloureux… mais en même temps, c’est ça qui nous fait grandir.
- Justement, le départ des frères est un sujet qui a été quelquefois critiqué à l’extérieur comme pouvant être douloureux ou moyennement accompagné. Quelles sont les mesures qui sont prises aujourd’hui si un frère veut partir ?
Frère Jean-Christophe : Ces dernières années, plusieurs accompagnements à différents niveaux sont proposés à un frère qui souhaite quitter l’institut : en plus de son accompagnement spirituel, extérieur à la communauté, et de l’accompagnement vocationnel par son prieur local, s’ajoute un accompagnement fraternel par un frère proposé par le prieur général. C’est-à-dire qu’il n’a pas tout de suite en vis-à-vis le prieur général, mais un frère en qui il a confiance est là pour l’aider dans ce passage.
Bien sûr, c’est le frère lui-même qui est responsable de sa propre vie et de son avenir, donc c’est lui qui le construit ; mais avec ce frère, il pourra réfléchir comment retrouver son autonomie, bâtir un budget prévisionnel, évaluer par exemple le besoin d’une formation, ou encore comment apaiser certaines blessures, des choses qui ont pu être mal vécues en communauté.
Parfois, on fait appel à des personnes extérieures : un médiateur, un juriste, pour aider à clarifier ce dont le frère a besoin. Il arrive aussi qu’on propose une médiation, quand il y a une demande de reconnaissance d’un préjudice ou quand il faut éclaircir les droits et les devoirs des uns et des autres. Tout cela ne veut pas dire que c’est simple. Toute rupture est humainement difficile à vivre. Retrouver la paix après un tel changement de vie significatif prend du temps.
- Peux-tu dire aussi quelle différence il y a eu entre les deux mandats que tu as vécus ?
Frère Jean-Christophe : Oui, il y a eu une vraie différence entre les deux mandats. J’ai une image qui m’a marqué, qu’un hôte de passage chez nous à Paris m’avait partagée vers 2014. Il m’avait dit : « J’ai l’impression que vous êtes comme un avion qui a perdu le moteur. » Et je trouve que c’est très parlant.
Pendant mon premier mandat, on était encore dans l’élan donné par le fondateur. Il n’était plus là, mais on volait encore, porté par l’élan qu’il avait imprimé. On avançait, on essayait d’impulser un autre style de gouvernance – plus de dialogue, des manières de faire qui évoluaient – mais au fond, on ne remettait pas en cause nos critères de réussite. On se disait : « Il y a du monde à la liturgie, il y a des vocations, donc tout va bien. » Mais en réalité, ces critères étaient trompeurs. On ne voyait pas qu’on avançait sans moteur.
Et puis, pendant le deuxième mandat, tout a basculé. Il y a eu des révélations, médiatisées, sur des dysfonctionnements graves, des dérives. Et là, c’était comme si l’avion avait pris du plomb dans l’aile, et qu’il perdait brutalement de l’altitude.
À ce moment-là, mon rôle a changé : je suis devenu un passeur. Un passeur entre l’extérieur et l’intérieur de la communauté. D’un côté, j’écoutais des anciens membres, je recevais des témoignages, parfois très difficiles à entendre. Je prenais conscience de certaines erreurs, avec l’aide de mon conseil, de personnes compétentes comme des psychothérapeutes ou les assistants apostoliques qui nous ont rejoints ensuite. Il fallait pouvoir nommer les choses sans les minimiser, dire à quelqu’un : « Non, ce que tu as vécu n’est pas admissible. »
Et ensuite, il fallait faire le travail en interne. Dire aux frères : « Vous savez, il y a des choses qui ne vont pas. On a commis des erreurs. On a dysfonctionné. » C’est ça, être passeur : porter ces deux voix, et tenir ensemble cette frontière entre le dedans et le dehors.
Mais être passeur, ce n’est pas juste faire le lien, c’est aussi tracer un chemin. Pour aller vers quoi ? Vers une transformation. Corriger ce qui peut l’être, réparer si possible, et surtout : changer de culture. Il a fallu affronter les résistances, apprendre à transformer nos peurs en opportunités.
Pendant longtemps, on raisonnait en se disant : « Il y a du monde, donc tout va bien, non ? » Eh bien non. Il a fallu sortir de nos anciens schémas mentaux, de ces réflexes du genre « On a toujours fait comme ça. » Ces repères sont dépassés. On se disait « moines dans le monde », mais en réalité, on était restés moines dans le monde d’avant. Le monde a changé, et nous, on n’avait pas changé avec lui.
Donc oui, mon deuxième mandat, ça a été un mandat de transformation. Et c’est pour ça que ce mot de passeur me parle autant. Voilà, je crois que c’est ça, la grande différence entre les deux mandats.
L’interview de frère Jean-Christophe continue :
La réforme, que reste-t-il à entreprendre ? Des points de vigilance pour l’avenir ? Que fait un prieur général à la fin de son mandat ? …
LIRE LA SUITE >

ESPACE D’ÉCOUTE DES SŒURS
Écho de l’espace d’écoute des sœurs
Au mois de mai 2024, dans la lettre « Discernement et Réforme » n°5, l’institut des sœurs annonçait la mise en place d’un espace d’écoute interne accompagné par Madame Ghislaine Petit, psychologue qui collabore avec l’INIRR, et sœur Anne Descour, psychothérapeute et provinciale des religieuses de l’Assomption.
Le but du processus auquel nous prenions alors part était « d’ouvrir un espace pour déposer notre propre parole sur l’histoire, sur des gestes, sur des paroles, sur des situations troublantes que nous avions pu vivre, ou dont nous avions pu être témoins, de la part du fondateur, d’un frère ou d’une sœur, pour ensuite analyser ce qui pourrait favoriser ou pas des fonctionnements non ajustés ou un climat de confusion affective, en vue d’en tirer des conséquences – les corriger d’une part et les prévenir d’autre part. »
La démarche d’écoute proposée aux sœurs était libre et les écoutantes se sont engagées à préserver l’anonymat des sœurs écoutées et de donner un écho aux sœurs de leur écoute au terme du processus.
En ce qui concerne frère Pierre-Marie, trois types de faits ont été rapportés :
– des propos très affectueux ou affectifs
– des gestes ambigus
– une attitude particulière qui pouvait alterner séduction, possessivité et mise à distance, que certaines qualifient d’emprise.
En ce qui concerne le climat affectif et relationnel, les sœurs ont souligné le type de relation que frère Pierre-Marie avait avec certaines : une relation où le spirituel, l’affectif et l’autorité se mêlaient. Ces confusions ont eu un grand impact sur le gouvernement de l’institut des sœurs et peuvent encore marquer notre manière d’être ensemble, d’exercer et de vivre l’autorité.
Nous reconnaissons la gravité de ce qui est décrit dans l’écho de cet espace d’écoute qui confirme celui de la cellule d’écoute externe et nous reconnaissons que certaines sœurs parties ou encore présentes ont été très abîmées par ce qu’elles ont vécu dans notre Institut. Cette prise de conscience est une étape importante et nécessaire du chemin de notre corps communautaire.
Ces fonctionnements nocifs, qui ont eu des retentissements jusqu’à aujourd’hui, nous montrent la nécessité de continuer à travailler notamment sur notre gouvernance ainsi que sur le climat affectif et relationnel présent dans nos fraternités pour l’assainir.
Nous souhaitons poursuivre notre travail d’accompagnement des conséquences de ce qui a fait violence à des sœurs présentes ou parties, ainsi que celui de prévention des nouvelles formes de dérives. Et ceci, afin qu’il y ait un surcroît de vie pour nous toutes.
Sœur Ida, prieure générale des sœurs, et son conseil

ASSEMBLÉES GÉNÉRALES
Lancement des Assemblées générales
Le 30 mars 2022, à l’issue de la visite apostolique de nos deux fraternités, le Préfet de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée adressait à tous les frères et sœurs une lettre, dans laquelle il nous engageait à entrer dans un processus de discernement et de réforme, et nous fournissait une feuille de route (cf. D&R n°1), les grands axes étant de :
• mieux exprimer le charisme qui vous est propre ;
• retravailler les Constitutions et Directoires ;
• poursuivre l’élaboration d’un programme de formation ;
• célébrer une Assemblée générale, avec des temps communs et des temps propres à chaque institut, afin de prendre les décisions nécessaires pour mettre en œuvre ce processus de réforme.
Au cours des trois dernières années, plusieurs chantiers thématiques ont été mis en place, un travail sur le Livre de Vie a été mené par des experts et par nos communautés, et tout un chemin de reconnaissance des souffrances et dysfonctionnements au sein de nos fraternités s’est ouvert. Pour chaque institut, un travail approfondi sur le charisme a abouti à l’élaboration d’un document intitulé : « Propos fondamental », qui exprime de manière spécifique la vocation propre de chaque institut.
Ces derniers mois, chaque institut a concentré ses efforts sur la rédaction de nouvelles constitutions, avec l’aide d’un canoniste. Ce travail a impliqué l’ensemble des fraternités. La question de la formation a également été approfondie et développée par chaque institut.
Dans quelques jours débutera la célébration de nos Assemblées générales : celle des Frères et celle des Sœurs, qui se tiendront simultanément et à proximité l’une de l’autre, afin de permettre des moments de partage commun, notamment sur la liturgie et sur les modalités de collaboration et de communion entre les deux instituts. Ces assemblées seront présidées par les assistants apostoliques, sœur Emmanuelle Maupomé et frère Bruno Cadoré. L’Assemblée des Frères sera animée par dom Guillaume Jedrzejczak, abbé cistercien, et celle des Sœurs par sœur Joëlle Ferry, Xavière.
L’Assemblée des Frères commencera par le chapitre général ordinaire, au cours duquel sera élu le prochain prieur général ainsi que ses quatre conseillers. Les deux assemblées auront ensuite à examiner et à voter chacune le projet des Constitutions et les textes associés.
Vous trouverez ci-dessous le déroulement de ces deux assemblées :


© 2025 Fraternités Monastiques de Jérusalem
Lettre d’information « Discernement & réforme » – communication@fraternites-jerusalem.org
Edito – Fin et commencement…
Du 21 juin au 13 juillet, Jérusalem entérine la réforme annoncée il y a plus de trois ans. L’assemblée des sœurs, comme celle des frères, sera amenée à se prononcer et à adopter de nouvelles constitutions qui sont le fruit des chantiers du processus de discernement et réforme.
Avec ces nouvelles constitutions, chacun des instituts, dans son identité et dans le respect de sa singularité, tirera les leçons du passé et pourra préparer son avenir. Il s’agit donc d’une étape importante qui consacre de nouvelles gouvernances pour porter la même espérance.
Une étape importante, mais pas la fin de l’histoire. Une histoire commune sur laquelle les frères et les sœurs se pencheront à l’occasion d’un temps de travail commun pour prendre connaissance des premières avancées des recherches des historiens.
Une histoire qui reste un présent à partager au sein de chacun des instituts, comme le démontre l’écho de l’espace d’écoute des sœurs que nous publions dans cette lettre.
Cet été, un premier cycle arrive à son terme, avec des décisions fortes et concrètes qui changeront la vie de et en Jérusalem. Ce cycle en ouvre nécessairement d’autres, qui devront continuer à se nourrir des travaux et des témoignages de toutes celles et de tous ceux qui cheminent ou ont croisé le chemin d’espérance de Jérusalem.
L’équipe « Information » des Fraternités de Jérusalem.
Sœur Marie-Laure, sœur Marlene, frère Grégoire, frère Marc-Abraham
et Paul-Hervé Vintrou (membre des fraternités laïques de Jérusalem)

INTERVIEW
Entretien avec frère Jean-Christophe

Au terme de son mandat de prieur général,
notre équipe a questionné frère Jean-Christophe
- Qu’est-ce que le travail d’un prieur général ?
Frère Jean-Christophe : D’abord, c’est mettre sa foi dans le Seigneur. Je me dis souvent : « ce n’est pas mon œuvre, Seigneur, c’est ton œuvre ». Prier est l’exigence première. Ensuite, c’est être frère avec ses frères, marcher avec eux, chercher ensemble. Être au service de la communion.
Très concrètement, cela veut dire visiter les fraternités chaque année, rencontrer les frères, individuellement et ensemble en chapitre, discerner avec chacun ce qui est bon pour lui, et avec la fraternité ce qui est bon pour le corps communautaire. Il m’arrive parfois d’engager un discernement avec un frère pour un parcours de formation ou pour un changement de fraternité, mais aussi d’affermir ceux qui se découragent.
Il me revient donc de donner un cap, une vision d’avenir, d’apporter un regard nouveau à la fraternité. Le travail consiste aussi à favoriser la coresponsabilité. Une tâche importante du prieur général est l’accompagnement des prieurs locaux dans leur mission par la formation, l’écoute, les conseils.
Enfin, je ne suis pas seul. Le travail principal se vit en équipe avec le conseil de l’institut. Depuis le début de la réforme, j’ai demandé à mon conseil un engagement beaucoup plus important qu’auparavant, avec des réunions hebdomadaires, voire plus fréquentes.
Le travail de gestion est par ailleurs chronophage : veiller à l’équilibre économique, suivre les dossiers des structures financières, juridiques, canoniques, s’entourer de personnes compétentes. Comme interlocuteur officiel qui représente l’institut, je suis régulièrement en dialogue avec la prieure générale des sœurs, les évêques des diocèses où nous sommes implantés, les instances ecclésiales et civiles, le Dicastère à Rome, la CORREF… Bref, c’est une mission à la fois spirituelle, fraternelle, organisationnelle… et bien remplie !
- Quels sont les joies que tu as vécues au cours de tes deux mandats ? Et puis aussi, peut-être le plus difficile ou le plus douloureux que tu voudrais partager.
Frère Jean-Christophe : Ma plus grande joie, vraiment, c’est l’esprit de fraternité. Ce n’est pas lié à un événement en particulier, c’est plus profond que ça. C’est un climat, une manière d’être ensemble entre frères, quelque chose qui habite notre vie communautaire. Et puis, le travail avec les frères, avec mon conseil, c’est aussi une vraie joie. C’est stimulant, cela permet d’aller toujours plus loin que ce qu’on aurait fait tout seul.
Les engagements des frères par la profession monastique ont toujours été des moments très forts, très beaux. C’est vrai qu’il n’y en a pas eu récemment, donc cette joie-là s’est un peu estompée, mais chaque engagement reste une grande joie à vivre.
Et puis une joie profonde, toute récente : c’est le vote de notre propos fondamental l’été dernier durant l’assemblée des frères. Ça a été un moment fort, parce que tous les frères l’ont approuvé, et on sentait que chacun y avait vraiment mis du sien. Il y a eu un vrai travail personnel et communautaire, et ça donne sens à notre vocation. Pour moi, c’est une vraie force pour l’avenir.
Pour ce qui est des difficultés… Ce n’est pas facile d’en parler, peut-être parce que je n’ai pas encore assez de recul. Mais je dirais que les moments les plus durs, ce sont les deuils à vivre. Notamment la fermeture de trois maisons pendant ces quatorze années : la Trinité-des-Monts, Bruxelles, Cologne. Et aussi la mise entre parenthèses du noviciat depuis deux ans. Il y a aussi le départ d’un certain nombre de frères.
Mais je crois que ce qui est le plus difficile, au fond, c’est l’accompagnement humain. Trouver la justesse dans la relation, essayer d’être juste envers chacun, ce n’est pas évident. Et chercher cette justesse, ça veut dire aussi accepter de se remettre en question, reconnaître quand on s’est trompé. C’est parfois douloureux… mais en même temps, c’est ça qui nous fait grandir.
- Justement, le départ des frères est un sujet qui a été quelquefois critiqué à l’extérieur comme pouvant être douloureux ou moyennement accompagné. Quelles sont les mesures qui sont prises aujourd’hui si un frère veut partir ?
Frère Jean-Christophe : Ces dernières années, plusieurs accompagnements à différents niveaux sont proposés à un frère qui souhaite quitter l’institut : en plus de son accompagnement spirituel, extérieur à la communauté, et de l’accompagnement vocationnel par son prieur local, s’ajoute un accompagnement fraternel par un frère proposé par le prieur général. C’est-à-dire qu’il n’a pas tout de suite en vis-à-vis le prieur général, mais un frère en qui il a confiance est là pour l’aider dans ce passage.
Bien sûr, c’est le frère lui-même qui est responsable de sa propre vie et de son avenir, donc c’est lui qui le construit ; mais avec ce frère, il pourra réfléchir comment retrouver son autonomie, bâtir un budget prévisionnel, évaluer par exemple le besoin d’une formation, ou encore comment apaiser certaines blessures, des choses qui ont pu être mal vécues en communauté.
Parfois, on fait appel à des personnes extérieures : un médiateur, un juriste, pour aider à clarifier ce dont le frère a besoin. Il arrive aussi qu’on propose une médiation, quand il y a une demande de reconnaissance d’un préjudice ou quand il faut éclaircir les droits et les devoirs des uns et des autres. Tout cela ne veut pas dire que c’est simple. Toute rupture est humainement difficile à vivre. Retrouver la paix après un tel changement de vie significatif prend du temps.
- Peux-tu dire aussi quelle différence il y a eu entre les deux mandats que tu as vécus ?
Frère Jean-Christophe : Oui, il y a eu une vraie différence entre les deux mandats. J’ai une image qui m’a marqué, qu’un hôte de passage chez nous à Paris m’avait partagée vers 2014. Il m’avait dit : « J’ai l’impression que vous êtes comme un avion qui a perdu le moteur. » Et je trouve que c’est très parlant.
Pendant mon premier mandat, on était encore dans l’élan donné par le fondateur. Il n’était plus là, mais on volait encore, porté par l’élan qu’il avait imprimé. On avançait, on essayait d’impulser un autre style de gouvernance – plus de dialogue, des manières de faire qui évoluaient – mais au fond, on ne remettait pas en cause nos critères de réussite. On se disait : « Il y a du monde à la liturgie, il y a des vocations, donc tout va bien. » Mais en réalité, ces critères étaient trompeurs. On ne voyait pas qu’on avançait sans moteur.
Et puis, pendant le deuxième mandat, tout a basculé. Il y a eu des révélations, médiatisées, sur des dysfonctionnements graves, des dérives. Et là, c’était comme si l’avion avait pris du plomb dans l’aile, et qu’il perdait brutalement de l’altitude.
À ce moment-là, mon rôle a changé : je suis devenu un passeur. Un passeur entre l’extérieur et l’intérieur de la communauté. D’un côté, j’écoutais des anciens membres, je recevais des témoignages, parfois très difficiles à entendre. Je prenais conscience de certaines erreurs, avec l’aide de mon conseil, de personnes compétentes comme des psychothérapeutes ou les assistants apostoliques qui nous ont rejoints ensuite. Il fallait pouvoir nommer les choses sans les minimiser, dire à quelqu’un : « Non, ce que tu as vécu n’est pas admissible. »
Et ensuite, il fallait faire le travail en interne. Dire aux frères : « Vous savez, il y a des choses qui ne vont pas. On a commis des erreurs. On a dysfonctionné. » C’est ça, être passeur : porter ces deux voix, et tenir ensemble cette frontière entre le dedans et le dehors.
Mais être passeur, ce n’est pas juste faire le lien, c’est aussi tracer un chemin. Pour aller vers quoi ? Vers une transformation. Corriger ce qui peut l’être, réparer si possible, et surtout : changer de culture. Il a fallu affronter les résistances, apprendre à transformer nos peurs en opportunités.
Pendant longtemps, on raisonnait en se disant : « Il y a du monde, donc tout va bien, non ? » Eh bien non. Il a fallu sortir de nos anciens schémas mentaux, de ces réflexes du genre « On a toujours fait comme ça. » Ces repères sont dépassés. On se disait « moines dans le monde », mais en réalité, on était restés moines dans le monde d’avant. Le monde a changé, et nous, on n’avait pas changé avec lui.
Donc oui, mon deuxième mandat, ça a été un mandat de transformation. Et c’est pour ça que ce mot de passeur me parle autant. Voilà, je crois que c’est ça, la grande différence entre les deux mandats.
L’interview de frère Jean-Christophe continue :
La réforme, que reste-t-il à entreprendre ? Des points de vigilance pour l’avenir ?
Que fait un prieur général à la fin de son mandat ? …
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ESPACE D’ÉCOUTE DES SŒURS
Écho de l’espace d’écoute des sœurs
Au mois de mai 2024, dans la lettre « Discernement & Réforme » n°5, l’institut des sœurs annonçait la mise en place d’un espace d’écoute interne accompagné par Madame Ghislaine Petit, psychologue qui collabore avec l’INIRR, et sœur Anne Descour, psychothérapeute et provinciale des religieuses de l’Assomption.
Le but du processus auquel nous prenions alors part était « d’ouvrir un espace pour déposer notre propre parole sur l’histoire, sur des gestes, sur des paroles, sur des situations troublantes que nous avions pu vivre, ou dont nous avions pu être témoins, de la part du fondateur, d’un frère ou d’une sœur, pour ensuite analyser ce qui pourrait favoriser ou pas des fonctionnements non ajustés ou un climat de confusion affective, en vue d’en tirer des conséquences – les corriger d’une part et les prévenir d’autre part. »
La démarche d’écoute proposée aux sœurs était libre et les écoutantes se sont engagées à préserver l’anonymat des sœurs écoutées et de donner un écho aux sœurs de leur écoute au terme du processus.
En ce qui concerne frère Pierre-Marie, trois types de faits ont été rapportés :
– des propos très affectueux ou affectifs
– des gestes ambigus
– une attitude particulière qui pouvait alterner séduction, possessivité et mise à distance, que certaines qualifient d’emprise.
En ce qui concerne le climat affectif et relationnel, les sœurs ont souligné le type de relation que frère Pierre-Marie avait avec certaines : une relation où le spirituel, l’affectif et l’autorité se mêlaient. Ces confusions ont eu un grand impact sur le gouvernement de l’institut des sœurs et peuvent encore marquer notre manière d’être ensemble, d’exercer et de vivre l’autorité.
Nous reconnaissons la gravité de ce qui est décrit dans l’écho de cet espace d’écoute qui confirme celui de la cellule d’écoute externe et nous reconnaissons que certaines sœurs parties ou encore présentes ont été très abîmées par ce qu’elles ont vécu dans notre Institut. Cette prise de conscience est une étape importante et nécessaire du chemin de notre corps communautaire.
Ces fonctionnements nocifs, qui ont eu des retentissements jusqu’à aujourd’hui, nous montrent la nécessité de continuer à travailler notamment sur notre gouvernance ainsi que sur le climat affectif et relationnel présent dans nos fraternités pour l’assainir.
Nous souhaitons poursuivre notre travail d’accompagnement des conséquences de ce qui a fait violence à des sœurs présentes ou parties, ainsi que celui de prévention des nouvelles formes de dérives. Et ceci, afin qu’il y ait un surcroît de vie pour nous toutes.
Sœur Ida, prieure générale des sœurs, et son conseil

ASSEMBLÉES GÉNÉRALES
Lancement des Assemblées générales
Le 30 mars 2022, à l’issue de la visite apostolique de nos deux fraternités, le Préfet de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée adressait à tous les frères et sœurs une lettre, dans laquelle il nous engageait à entrer dans un processus de discernement et de réforme, et nous fournissait une feuille de route (cf. lettre Discernement & Réforme n°1), les grands axes étant de :
• mieux exprimer le charisme qui vous est propre ;
• retravailler les Constitutions et Directoires ;
• poursuivre l’élaboration d’un programme de formation ;
• célébrer une Assemblée générale, avec des temps communs et des temps propres à chaque institut, afin de prendre les décisions nécessaires pour mettre en œuvre ce processus de réforme.
Au cours des trois dernières années, plusieurs chantiers thématiques ont été mis en place, un travail sur le Livre de Vie a été mené par des experts et par nos communautés, et tout un chemin de reconnaissance des souffrances et dysfonctionnements au sein de nos fraternités s’est ouvert. Pour chaque institut, un travail approfondi sur le charisme a abouti à l’élaboration d’un document intitulé : « Propos fondamental », qui exprime de manière spécifique la vocation propre de chaque institut.
Ces derniers mois, chaque institut a concentré ses efforts sur la rédaction de nouvelles constitutions, avec l’aide d’un canoniste. Ce travail a impliqué l’ensemble des fraternités. La question de la formation a également été approfondie et développée par chaque institut.
Dans quelques jours débutera la célébration de nos Assemblées générales : celle des Frères et celle des Sœurs, qui se tiendront simultanément et à proximité l’une de l’autre, afin de permettre des moments de partage commun, notamment sur la liturgie et sur les modalités de collaboration et de communion entre les deux instituts. Ces assemblées seront présidées par les assistants apostoliques, sœur Emmanuelle Maupomé et frère Bruno Cadoré. L’Assemblée des Frères sera animée par dom Guillaume Jedrzejczak, abbé cistercien, et celle des Sœurs par sœur Joëlle Ferry, Xavière.
L’Assemblée des Frères commencera par le chapitre général ordinaire, au cours duquel sera élu le prochain prieur général ainsi que ses quatre conseillers. Les deux assemblées auront ensuite à examiner et à voter chacune le projet des Constitutions et les textes associés.
Vous trouverez ci-dessous le déroulement de ces deux assemblées :


© 2025 Fraternités Monastiques de Jérusalem
Lettre d’information « Discernement & réforme » – communication@fraternites-jerusalem.org