En route pour Magdala 

Notre deuxième lettre d’information vous est diffusée aux portes de l’été. Un été studieux qui nous mène vers notre rencontre de Magdala pendant laquelle nos Fraternités se retrouveront pour relire l’année écoulée, poursuivre le travail engagé, et continuer à se réformer.
Cette étape importante du processus de discernement et de réforme sera l’occasion de présenter l’état d’avancement de nos neuf chantiers, mais aussi – et peut-être surtout – de nous retrouver et prendre en compte les paroles des uns et des autres sur la situation et l’avenir de nos deux communautés.
Les mots de Magdala sont attendus. Et nous souhaitons qu’ils soient entendus. Mots d’espérance et de vérité, ils seront peut-être à l’image de ceux que nous avons lus ou reçus en réaction à l’”édito » de notre première lettre. Encouragements et incompréhensions, soulagement et réserves, nos mots n’ont pas laissé indifférents, à l’intérieur comme à l’extérieur de nos Fraternités.
Ces messages, tous légitimes, tous sincères, tous respectables, disent beaucoup de nos questionnements, de notre attachement à la famille de Jérusalem et aussi de notre désir de voir grandir notre espérance en Jérusalem. Comme le montrent les décisions concernant le noviciat chez les sœurs comme chez les frères – que nous vous présentons dans cette lettre –, ou le travail sérieux et constructif qui irrigue les chantiers mis en place avec l’aide des assistants apostoliques.
Dans deux mois, les frères et sœurs seront réunis à Magdala. Nous y parlerons de notre avenir, à la lumière du passé et de notre engagement présent.

L’équipe « Information » des Fraternités de Jérusalem.
Sœur Anne, sœur Marie-Laure, frère Grégoire, frère Marc-Abraham
et Paul-Hervé Vintrou (membre des fraternités laïques de Jérusalem)

Le contenu de cette lettre d’information :

ZOOM SUR LES CHANTIERS     

Chantier « Histoire et fondateur »

Entretien avec Jean-Pascal Gay, historien

Pourquoi avez-vous accepté de collaborer à l’un des chantiers du processus de réforme ?

J.-P. G. : La compréhension des processus qui ont conduit à des phénomènes d’emprise ou d’abus, ou dans certaines communautés à des violences et même des crimes sexuels, constitue un enjeu ecclésial mais aussi scientifique de première importance. Les historiennes et historiens du catholicisme, au fond largement comme les acteurs du monde catholique, se sont longtemps trop peu intéressés aux logiques qui les ont rendus possibles. D’une certaine manière, ce sont vraiment certains aspects essentiels de l’histoire du catholicisme (rapport de pouvoirs, relations de genre, etc.) qui ont été ainsi négligés. Les Fraternités monastiques de Jérusalem ont par ailleurs fait un choix spécifique, et de mon point de vue particulièrement pertinent, en choisissant de reprendre de manière plus ample et générale le « récit de soi » de la communauté et en acceptant de faire de la réécriture de l’histoire de la communauté un élément même du processus de réforme. Il s’agit ainsi de replacer les dysfonctionnements, les souffrances, les injustices dans le contexte et le temps de l’histoire de la communauté, non pour les relativiser mais, au contraire, pour avoir une vision juste des mécanismes qui y ont présidé. C’est une tâche essentielle de justice et de justesse à laquelle il est difficile de se dérober quand on vous sollicite pour l’accompagner.

Comment envisagez-vous votre rôle ? En quoi consistera votre travail ?

J.-P. G. : Dans le processus que nous avons envisagé, ce n’est pas immédiatement moi qui réaliserai l’enquête historique sur la base d’archives et d’entretiens (avec des témoins de l’histoire des communautés, y compris des membres et d’anciens membres), mais une chercheuse ou un chercheur qui sera employé à l’Université catholique de Louvain et dont le travail sera financé par les fonds collectés par les communautés à cette fin. Mon propre rôle sera d’accompagner l’écriture de l’histoire des communautés issue de cette collecte de données et de garantir le progrès et l’indépendance de cette recherche. Il sera aussi d’accompagner la dimension d’histoire publique qui accompagne une telle entreprise et d’assurer la médiation entre le travail réalisé dans le cadre de cette recherche et les publics qu’elle concerne – les anciens membres des communautés et les frères et sœurs actuels – dans leur appropriation des résultats de cette recherche. Il ne m’appartiendra pas de juger de ce qui s’est « bien » ou « mal » passé dans l’histoire de la communauté, et moins encore de proposer des remèdes, ou de penser des modalités de réparations. Il s’agit là d’autres dimensions du processus de discernement et de réforme, que le travail historique pourra informer mais qu’il ne pourra informer efficacement qu’à condition d’être conduit séparément, pour lui-même, et en pleine indépendance. Pour le dire simplement, notre travail sera surtout d’essayer de dire ce qui s’est passé, et d’essayer aussi de distinguer ce qui appartient en propre dans ce ce-qui-s’est-passé aux communautés et ce qui s’inscrit dans des dynamiques plus larges dans le catholicisme des cinquante dernières années.

Avez-vous toute latitude pour le mener comme vous l’entendez ?

J.-P. G. : Il est encore un peu tôt pour répondre à cette question. Je puis attester de la claire volonté des communautés et de leurs assistants de nous accorder cette latitude et de nous donner les moyens – y compris financiers – de conduire à bien cette enquête, notamment en nous facilitant l’accès dont nous aurons besoin aux archives et aux témoins de tous types. Reste en l’état la question aussi de l’accessibilité des fonds d’archives diocésains et romains nécessaires à l’enquête, et bien sûr celle de la vérification de cette manifeste bonne volonté dans la durée. J’ai toute confiance, à titre personnel, que nous travaillons de ce point de vue dans la bonne direction. Le choix de l’équipe 
« histoire et fondateur » de laisser l’enquête historique se faire de manière libre et indépendante, en se mettant au service des chercheurs et en se concentrant plutôt sur la question du récit interne aux communautés me confirme dans cette confiance.

Chantier « Livre de Vie »

Entretien avec Pierre Molinié, patrologue

Pourquoi avez-vous accepté de collaborer à l’un des chantiers du processus de réforme ?

P. M. : Cette demande a résonné en moi comme un service d’Église : un service à rendre à votre communauté, mais dans le cadre d’un mouvement de réforme bien plus large dans lequel toute l’Église est engagée. Moi-même, comme jésuite, je suis conscient que nous avons aussi à scruter nos propres textes pour examiner leur pertinence et les éléments qui seraient à reformuler. C’est particulièrement vrai pour tout ce qui touche à l’obéissance et aux mécanismes permettant ou non à la parole de circuler. Aussi je me réjouis que votre famille religieuse se lance dans un tel travail, et heureux de pouvoir y contribuer à ma mesure.

Comment envisagez-vous votre rôle ?

P. M. : Je ne me vois pas d’abord comme un expert : je ne suis pas canoniste ni spécialiste de l’histoire de la spiritualité et des règles monastiques ; de plus, à 44 ans, mon expérience et mes connaissances sont fort limitées. Néanmoins, j’ai été invité à participer à ce chantier en tant que patrologue : je suis spécialiste de Jean Chrysostome, et je m’intéresse plus largement à l’homilétique et à l’exégèse des Pères. C’est donc à partir de cette connaissance des Pères grecs que je peux me pencher sur le Livre de Vie. Toutefois, je ne saurai le faire sans y apporter aussi ce que je suis : depuis une dizaine d’années, j’ai eu la chance de pouvoir donner une place à l’accompagnement spirituel et aux retraites selon les Exercices spirituels dans ma vie apostolique ; et d’autre part, comme membre de la Compagnie depuis 19 ans, je me vois comme un frère dans la vie religieuse, forcé d’être humble devant le chemin de vie monastique que vous avez choisi, mais disponible pour vous aider à relire certains de vos textes pour mieux répondre à votre appel.

Concrètement en quoi consiste votre travail ?

P. M. : Les consignes étant assez sobres et la liberté de mener mon travail totale, j’ai fait ce que je sais faire comme patrologue. D’une part, j’ai identifié les quelques 70 citations patristiques du Livre de Vie (enfin pour être honnête, il y en a trois que je n’ai pas réussi à retrouver, car les références étaient incomplètes ou erronées) et je suis allé voir dans quel contexte elles apparaissaient chez les auteurs concernés, pour voir si l’utilisation qu’en faisait l’auteur du Livre de Vie était pertinente. D’autre part, en lisant un certain nombre de règles anciennes (Augustin, Pachôme, Basile, Benoît…), j’ai essayé de sentir ce qui, dans le Livre de Vie, me paraissait sonner juste par rapport à ces textes de référence, et ce qui au contraire me semblait discordant.

LA RÉFORME EN ACTIONS     

Pour mieux accueillir les novices de demain

Notre processus de réforme nous fait revisiter notre charisme 
et la manière de le déployer.

Dans l’Institut des sœurs

Depuis plusieurs années, le noviciat des sœurs est accompagné par une équipe de maîtresses des novices en réseau dans nos différents pays d’implantation.
Compte tenu du processus de réforme et de discernement en cours, l’Institut des sœurs a pris l’option d’une pause de deux ans dans l’accueil au noviciat, afin de pouvoir mieux accompagner les jeunes qui frappent à notre porte. Pendant ce temps, une nouvelle maîtresse des novices suivra une formation.
Les réflexions entamées dans le cheminement actuel de nos Instituts concernant entre autres, le fondateur, le charisme de Jérusalem, le Livre de Vie, …. (c’est le travail des 9 chantiers !), il nous semble essentiel de clarifier ce que nous sommes appelées à vivre aujourd’hui en Église, afin d’accueillir sereinement les jeunes que le Seigneur appelle à Jérusalem pour demain.

Dans l’Institut des frères

Le processus de réforme en cours questionne les contours de notre vocation. C’est pourquoi nous souhaitons préciser notre positionnement actuel vis-à-vis des demandes de jeunes en discernement.
Afin de soutenir les attentes des jeunes qui s’interrogent sur leur propre vocation, des frères compétents, déjà formés et qui en reçoivent la mission, continuent à accompagner les jeunes et pourront proposer des retraites de discernement. Cependant, nous décidons de ne pas admettre temporairement de candidats. Il n’y aura pas d’entrée au noviciat jusqu’en septembre 2025. D’ici-là, un nouveau maître des novices sera formé, une équipe de formateurs constituée, et le cadre de la formation (ratio formationis) sera approfondi et validé. Cette étape exigeante est destinée à préparer sereinement des moyens renouvelés de discernement vocationnel et de formation.

Webinaire sur l’obéissance

Une session sur l’obéissance proposée à tout l’Institut des sœurs s’est déroulée sous forme de webinaire, les 22-24 avril derniers. Cette formation s’est inscrite dans la dynamique du processus de réforme et de discernement que nous menons. Notre conception de l’obéissance a pu en effet mener à des dysfonctionnements dont les conséquences sont parfois graves sur les personnes.
La session avait donc un triple objectif :  tout d’abord, se former et avoir des clefs bibliques, théologiques et humaines pour mieux comprendre le vœu d’obéissance, et mieux le vivre.  Ensuite, repérer les éléments d’une obéissance qui soit un chemin au service de la croissance humaine et spirituelle, et identifier les conceptions erronées de l’obéissance. Enfin, ces trois jours étaient une étape importante pour commencer à préciser la matière de notre vœu d’obéissance, son cadre, à Jérusalem.
Nous sommes dans une grande reconnaissance pour tous ceux qui ont accepté à la fois de parler de leur expérience mais aussi de donner une parole adaptée à notre institut.
Nous avons fait appel à des consacré(e)s, hommes et femmes de diverses traditions qui nous ont partagé comment se vit et se pratique l’obéissance dans leur vocation propre témoignant à la fois de tâtonnements, de défis, mais aussi de bon sens et de respect des personnes.
Parmi eux, frère Gilles Berceville, o.p., professeur de théologie spirituelle à l’Institut catholique de Paris, qui accompagne notamment des victimes de dérives au sein de communautés religieuses chrétiennes. Ou encore sœur Anne Chapell qui avait été membre de la cellule d’écoute de nos Fraternités.
Tous ont évoqué une obéissance qui n’a pas à être comprise comme une relation entre l’autorité « qui saurait » et l’autre « qui ne saurait pas », mais plutôt comme une relation d’écoute mutuelle, qui prend en compte à la fois le bien de la personne et le bien commun. L’obéissance amène avant tout à mener un discernement entre adultes. Nous avons redécouvert combien le vœu d’obéissance est un lien qui nous unit les unes aux autres pour vivre notre vocation ensemble à la suite du Christ.
Nous avons pu laisser résonner en nous leur partage d’expérience, et nous laisser ainsi déplacer, interpeller, parfois conforter dans notre propre pratique. Un temps d’échange avec chaque intervenant nous a permis de poser nos questions, d’aborder des sujets qui nous paraissaient importants tels que : « est-ce un manque d’obéissance que de dire non à une demande qui nous est faite ?“. Nos interlocuteurs se sont prêtés avec courage et honnêteté à cet exercice.
Un temps de travail en petit groupe nous a permis d’amorcer une réflexion sur ce que devrait être la matière du vœu d’obéissance en Jérusalem, la manière de la vivre, et au service de quoi.  Pour que tout cela ne reste pas que des paroles déclaratives, nous allons reprendre et poursuivre ce travail en août prochain à Magdala. Certains points nous rassemblent, d’autres sont des lieux de divergences, de tension : il nous faudra encore d’autres temps de parole, d’écoute et de discernement commun pour avancer ensemble dans notre réflexion.
Ces trois jours ont été denses mais ils nous ont permis de recevoir toutes ensembles une même formation sur un sujet fondamental pour notre institut aujourd’hui. Ils ont également pu permettre de nouvelles prises de conscience sur des mauvaises compréhensions de l’obéissance.

Sœurs Claire, Philomène et Anne-Claire

Où en sont les frères suite à leur assemblée de la Flatière ?

À la suite de la session vécue entre frères au foyer de charité de La Flatière du 21 au 23 janvier dernier, deux thèmes ont émergé de nos échanges. Ces sujets ne relèvent pas strictement des 9 chantiers engagés dans le processus de réforme, mais demandent une approche transversale :  il s’agit de réflexions sur le nombre de frères par fraternité, et sur l’exercice des charges pastorales liées aux églises où nous prions (recteur, chapelain, …).

Les frères ont donc entamé un travail sur ces deux thèmes :

  • Dans la plupart de nos implantations, l’effectif des frères est très réduit. Une question se pose avec évidence : faut-il regrouper les frères en fermant des fraternités, ou faut-il adapter notre mode de vie à des fraternités de 4 ou 5 frères ? Au cours de premiers partages en fraternité, nous avons évalué les avantages et inconvénients des différentes options possibles, en termes de vie communautaire, de vie spirituelle, de travail, de gouvernement, de formation, de rayonnement liturgique, d’équilibre économique… Prendre une option sur cette question devrait permettre de préciser les contours de la vie monastique que nous souhaitons pour les années à venir.

  • Dans chaque lieu d’implantation, l’église qui nous est affectée doit être administrée selon les droits canonique et civil. Cette charge ministérielle est actuellement le plus souvent confiée à un prêtre de nos fraternités. La question n’est pourtant pas si évidente : est-ce la bonne solution pour permettre des relations ajustées entre les deux fraternités de frères et de sœurs ? Est-ce cohérent avec l’appel vocationnel des frères prêtres ? Lors d’une visioconférence,  tous les frères prêtres ont amorcé une discussion autour de ces charges pastorales relevant des missions de chapelain ou de recteur. Cette thématique touche aussi les autres frères et sœurs. In fine, il s’agira de préciser la place du ministère ordonné dans nos communautés et la manière de l’exercer aujourd’hui et demain.

L’ensemble des frères continuera ce travail  en assemblée lors de notre rencontre d’été à Burtin. Nous visons alors à prendre de premières options sur ces deux sujets, pour nous permettre de progresser ensuite sur les autres chantiers.

Frères Grégoire et Marc-Abraham

QUELQUES CHIFFRES-CLEFS     

A ce jour, les Fraternités monastiques de Jérusalem comptent 110 sœurs et 46 frères au total, répartis sur 10 implantations 
       – en France : Paris, Strasbourg, Vézelay, Le Mont-Saint-Michel et Magdala ;
       – en Italie : Florence et Rome ;
       – en Allemagne : Cologne ;
       – en Pologne : Varsovie ;
       – au Canada : Montréal.

REVUE DE PRESSE     

Le processus de discernement et réforme suscite l’intérêt des médias. Fidèles à l’esprit de transparence qui irrigue nos travaux, nous avons fait le choix de vous diffuser dans cette lettre des articles, positifs comme négatifs, qui ont pu être publiés depuis notre dernière communication :

© 2023 Fraternités Monastiques de Jérusalem  
Lettre d’information « Discernement & réforme » – communication@fraternites-jerusalem.org

En route pour Magdala 

Notre deuxième lettre d’information vous est diffusée aux portes de l’été. Un été studieux qui nous mène vers notre rencontre de Magdala pendant laquelle nos Fraternités se retrouveront pour relire l’année écoulée, poursuivre le travail engagé, et continuer à se réformer.
Cette étape importante du processus de discernement et de réforme sera l’occasion de présenter l’état d’avancement de nos neuf chantiers, mais aussi – et peut-être surtout – de nous retrouver et prendre en compte les paroles des uns et des autres sur la situation et l’avenir de nos deux communautés.
Les mots de Magdala sont attendus. Et nous souhaitons qu’ils soient entendus. Mots d’espérance et de vérité, ils seront peut-être à l’image de ceux que nous avons lus ou reçus en réaction à l’”édito » de notre première lettre. Encouragements et incompréhensions, soulagement et réserves, nos mots n’ont pas laissé indifférents, à l’intérieur comme à l’extérieur de nos Fraternités.
Ces messages, tous légitimes, tous sincères, tous respectables, disent beaucoup de nos questionnements, de notre attachement à la famille de Jérusalem et aussi de notre désir de voir grandir notre espérance en Jérusalem. Comme le montrent les décisions concernant le noviciat chez les sœurs comme chez les frères – que nous vous présentons dans cette lettre –, ou le travail sérieux et constructif qui irrigue les chantiers mis en place avec l’aide des assistants apostoliques.
Dans deux mois, les frères et sœurs seront réunis à Magdala. Nous y parlerons de notre avenir, à la lumière du passé et de notre engagement présent.

L’équipe « Information » des Fraternités de Jérusalem.
Sœur Anne, sœur Marie-Laure, frère Grégoire, frère Marc-Abraham
et Paul-Hervé Vintrou (membre des fraternités laïques de Jérusalem)

Le contenu de cette lettre d’information :

ZOOM SUR LES CHANTIERS     

Chantier « Histoire et fondateur »

Entretien avec Jean-Pascal Gay, historien

Pourquoi avez-vous accepté de collaborer à l’un des chantiers du processus de réforme ?

J.-P. G. : La compréhension des processus qui ont conduit à des phénomènes d’emprise ou d’abus, ou dans certaines communautés à des violences et même des crimes sexuels, constitue un enjeu ecclésial mais aussi scientifique de première importance. Les historiennes et historiens du catholicisme, au fond largement comme les acteurs du monde catholique, se sont longtemps trop peu intéressés aux logiques qui les ont rendus possibles. D’une certaine manière, ce sont vraiment certains aspects essentiels de l’histoire du catholicisme (rapport de pouvoirs, relations de genre, etc.) qui ont été ainsi négligés. Les Fraternités monastiques de Jérusalem ont par ailleurs fait un choix spécifique, et de mon point de vue particulièrement pertinent, en choisissant de reprendre de manière plus ample et générale le « récit de soi » de la communauté et en acceptant de faire de la réécriture de l’histoire de la communauté un élément même du processus de réforme. Il s’agit ainsi de replacer les dysfonctionnements, les souffrances, les injustices dans le contexte et le temps de l’histoire de la communauté, non pour les relativiser mais, au contraire, pour avoir une vision juste des mécanismes qui y ont présidé. C’est une tâche essentielle de justice et de justesse à laquelle il est difficile de se dérober quand on vous sollicite pour l’accompagner.

Comment envisagez-vous votre rôle ? En quoi consistera votre travail ?

J.-P. G. : Dans le processus que nous avons envisagé, ce n’est pas immédiatement moi qui réaliserai l’enquête historique sur la base d’archives et d’entretiens (avec des témoins de l’histoire des communautés, y compris des membres et d’anciens membres), mais une chercheuse ou un chercheur qui sera employé à l’Université catholique de Louvain et dont le travail sera financé par les fonds collectés par les communautés à cette fin. Mon propre rôle sera d’accompagner l’écriture de l’histoire des communautés issue de cette collecte de données et de garantir le progrès et l’indépendance de cette recherche. Il sera aussi d’accompagner la dimension d’histoire publique qui accompagne une telle entreprise et d’assurer la médiation entre le travail réalisé dans le cadre de cette recherche et les publics qu’elle concerne – les anciens membres des communautés et les frères et sœurs actuels – dans leur appropriation des résultats de cette recherche. Il ne m’appartiendra pas de juger de ce qui s’est « bien » ou « mal » passé dans l’histoire de la communauté, et moins encore de proposer des remèdes, ou de penser des modalités de réparations. Il s’agit là d’autres dimensions du processus de discernement et de réforme, que le travail historique pourra informer mais qu’il ne pourra informer efficacement qu’à condition d’être conduit séparément, pour lui-même, et en pleine indépendance. Pour le dire simplement, notre travail sera surtout d’essayer de dire ce qui s’est passé, et d’essayer aussi de distinguer ce qui appartient en propre dans ce ce-qui-s’est-passé aux communautés et ce qui s’inscrit dans des dynamiques plus larges dans le catholicisme des cinquante dernières années.

Avez-vous toute latitude pour le mener comme vous l’entendez ?

J.-P. G. : Il est encore un peu tôt pour répondre à cette question. Je puis attester de la claire volonté des communautés et de leurs assistants de nous accorder cette latitude et de nous donner les moyens – y compris financiers – de conduire à bien cette enquête, notamment en nous facilitant l’accès dont nous aurons besoin aux archives et aux témoins de tous types. Reste en l’état la question aussi de l’accessibilité des fonds d’archives diocésains et romains nécessaires à l’enquête, et bien sûr celle de la vérification de cette manifeste bonne volonté dans la durée. J’ai toute confiance, à titre personnel, que nous travaillons de ce point de vue dans la bonne direction. Le choix de l’équipe 
« histoire et fondateur » de laisser l’enquête historique se faire de manière libre et indépendante, en se mettant au service des chercheurs et en se concentrant plutôt sur la question du récit interne aux communautés me confirme dans cette confiance.

Chantier « Livre de Vie »

Entretien avec Pierre Molinié, patrologue

Pourquoi avez-vous accepté de collaborer à l’un des chantiers du processus de réforme ?

P. M. : Cette demande a résonné en moi comme un service d’Église : un service à rendre à votre communauté, mais dans le cadre d’un mouvement de réforme bien plus large dans lequel toute l’Église est engagée. Moi-même, comme jésuite, je suis conscient que nous avons aussi à scruter nos propres textes pour examiner leur pertinence et les éléments qui seraient à reformuler. C’est particulièrement vrai pour tout ce qui touche à l’obéissance et aux mécanismes permettant ou non à la parole de circuler. Aussi je me réjouis que votre famille religieuse se lance dans un tel travail, et heureux de pouvoir y contribuer à ma mesure.

Comment envisagez-vous votre rôle ?

P. M. : Je ne me vois pas d’abord comme un expert : je ne suis pas canoniste ni spécialiste de l’histoire de la spiritualité et des règles monastiques ; de plus, à 44 ans, mon expérience et mes connaissances sont fort limitées. Néanmoins, j’ai été invité à participer à ce chantier en tant que patrologue : je suis spécialiste de Jean Chrysostome, et je m’intéresse plus largement à l’homilétique et à l’exégèse des Pères. C’est donc à partir de cette connaissance des Pères grecs que je peux me pencher sur le Livre de Vie. Toutefois, je ne saurai le faire sans y apporter aussi ce que je suis : depuis une dizaine d’années, j’ai eu la chance de pouvoir donner une place à l’accompagnement spirituel et aux retraites selon les Exercices spirituels dans ma vie apostolique ; et d’autre part, comme membre de la Compagnie depuis 19 ans, je me vois comme un frère dans la vie religieuse, forcé d’être humble devant le chemin de vie monastique que vous avez choisi, mais disponible pour vous aider à relire certains de vos textes pour mieux répondre à votre appel.

Concrètement en quoi consiste votre travail ?

P. M. : Les consignes étant assez sobres et la liberté de mener mon travail totale, j’ai fait ce que je sais faire comme patrologue. D’une part, j’ai identifié les quelques 70 citations patristiques du Livre de Vie (enfin pour être honnête, il y en a trois que je n’ai pas réussi à retrouver, car les références étaient incomplètes ou erronées) et je suis allé voir dans quel contexte elles apparaissaient chez les auteurs concernés, pour voir si l’utilisation qu’en faisait l’auteur du Livre de Vie était pertinente. D’autre part, en lisant un certain nombre de règles anciennes (Augustin, Pachôme, Basile, Benoît…), j’ai essayé de sentir ce qui, dans le Livre de Vie, me paraissait sonner juste par rapport à ces textes de référence, et ce qui au contraire me semblait discordant.

LA RÉFORME EN ACTIONS     

Pour mieux accueillir les novices de demain

Notre processus de réforme nous fait revisiter notre charisme 
et la manière de le déployer.

Dans l’Institut des sœurs

Depuis plusieurs années, le noviciat des sœurs est accompagné par une équipe de maîtresses des novices en réseau dans nos différents pays d’implantation.
Compte tenu du processus de réforme et de discernement en cours, l’Institut des sœurs a pris l’option d’une pause de deux ans dans l’accueil au noviciat, afin de pouvoir mieux accompagner les jeunes qui frappent à notre porte. Pendant ce temps, une nouvelle maîtresse des novices suivra une formation.
Les réflexions entamées dans le cheminement actuel de nos Instituts concernant entre autres, le fondateur, le charisme de Jérusalem, le Livre de Vie, …. (c’est le travail des 9 chantiers !), il nous semble essentiel de clarifier ce que nous sommes appelées à vivre aujourd’hui en Église, afin d’accueillir sereinement les jeunes que le Seigneur appelle à Jérusalem pour demain.

Dans l’Institut des frères

Le processus de réforme en cours questionne les contours de notre vocation. C’est pourquoi nous souhaitons préciser notre positionnement actuel vis-à-vis des demandes de jeunes en discernement.
Afin de soutenir les attentes des jeunes qui s’interrogent sur leur propre vocation, des frères compétents, déjà formés et qui en reçoivent la mission, continuent à accompagner les jeunes et pourront proposer des retraites de discernement. Cependant, nous décidons de ne pas admettre temporairement de candidats. Il n’y aura pas d’entrée au noviciat jusqu’en septembre 2025. D’ici-là, un nouveau maître des novices sera formé, une équipe de formateurs constituée, et le cadre de la formation (ratio formationis) sera approfondi et validé. Cette étape exigeante est destinée à préparer sereinement des moyens renouvelés de discernement vocationnel et de formation.

Webinaire sur l’obéissance

Une session sur l’obéissance proposée à tout l’Institut des sœurs s’est déroulée sous forme de webinaire, les 22-24 avril derniers. Cette formation s’est inscrite dans la dynamique du processus de réforme et de discernement que nous menons. Notre conception de l’obéissance a pu en effet mener à des dysfonctionnements dont les conséquences sont parfois graves sur les personnes.
La session avait donc un triple objectif :  tout d’abord, se former et avoir des clefs bibliques, théologiques et humaines pour mieux comprendre le vœu d’obéissance, et mieux le vivre.  Ensuite, repérer les éléments d’une obéissance qui soit un chemin au service de la croissance humaine et spirituelle, et identifier les conceptions erronées de l’obéissance. Enfin, ces trois jours étaient une étape importante pour commencer à préciser la matière de notre vœu d’obéissance, son cadre, à Jérusalem.
Nous sommes dans une grande reconnaissance pour tous ceux qui ont accepté à la fois de parler de leur expérience mais aussi de donner une parole adaptée à notre institut.
Nous avons fait appel à des consacré(e)s, hommes et femmes de diverses traditions qui nous ont partagé comment se vit et se pratique l’obéissance dans leur vocation propre témoignant à la fois de tâtonnements, de défis, mais aussi de bon sens et de respect des personnes.
Parmi eux, frère Gilles Berceville, o.p., professeur de théologie spirituelle à l’Institut catholique de Paris, qui accompagne notamment des victimes de dérives au sein de communautés religieuses chrétiennes. Ou encore sœur Anne Chapell qui avait été membre de la cellule d’écoute de nos Fraternités.
Tous ont évoqué une obéissance qui n’a pas à être comprise comme une relation entre l’autorité « qui saurait » et l’autre « qui ne saurait pas », mais plutôt comme une relation d’écoute mutuelle, qui prend en compte à la fois le bien de la personne et le bien commun. L’obéissance amène avant tout à mener un discernement entre adultes. Nous avons redécouvert combien le vœu d’obéissance est un lien qui nous unit les unes aux autres pour vivre notre vocation ensemble à la suite du Christ.
Nous avons pu laisser résonner en nous leur partage d’expérience, et nous laisser ainsi déplacer, interpeller, parfois conforter dans notre propre pratique. Un temps d’échange avec chaque intervenant nous a permis de poser nos questions, d’aborder des sujets qui nous paraissaient importants tels que : « est-ce un manque d’obéissance que de dire non à une demande qui nous est faite ?“. Nos interlocuteurs se sont prêtés avec courage et honnêteté à cet exercice.
Un temps de travail en petit groupe nous a permis d’amorcer une réflexion sur ce que devrait être la matière du vœu d’obéissance en Jérusalem, la manière de la vivre, et au service de quoi.  Pour que tout cela ne reste pas que des paroles déclaratives, nous allons reprendre et poursuivre ce travail en août prochain à Magdala. Certains points nous rassemblent, d’autres sont des lieux de divergences, de tension : il nous faudra encore d’autres temps de parole, d’écoute et de discernement commun pour avancer ensemble dans notre réflexion.
Ces trois jours ont été denses mais ils nous ont permis de recevoir toutes ensembles une même formation sur un sujet fondamental pour notre institut aujourd’hui. Ils ont également pu permettre de nouvelles prises de conscience sur des mauvaises compréhensions de l’obéissance.

Sœurs Claire, Philomène et Anne-Claire

Où en sont les frères suite à leur assemblée de la Flatière ?

À la suite de la session vécue entre frères au foyer de charité de La Flatière du 21 au 23 janvier dernier, deux thèmes ont émergé de nos échanges. Ces sujets ne relèvent pas strictement des 9 chantiers engagés dans le processus de réforme, mais demandent une approche transversale :  il s’agit de réflexions sur le nombre de frères par fraternité, et sur l’exercice des charges pastorales liées aux églises où nous prions (recteur, chapelain, …).

Les frères ont donc entamé un travail sur ces deux thèmes :

  • Dans la plupart de nos implantations, l’effectif des frères est très réduit. Une question se pose avec évidence : faut-il regrouper les frères en fermant des fraternités, ou faut-il adapter notre mode de vie à des fraternités de 4 ou 5 frères ? Au cours de premiers partages en fraternité, nous avons évalué les avantages et inconvénients des différentes options possibles, en termes de vie communautaire, de vie spirituelle, de travail, de gouvernement, de formation, de rayonnement liturgique, d’équilibre économique… Prendre une option sur cette question devrait permettre de préciser les contours de la vie monastique que nous souhaitons pour les années à venir.

  • Dans chaque lieu d’implantation, l’église qui nous est affectée doit être administrée selon les droits canonique et civil. Cette charge ministérielle est actuellement le plus souvent confiée à un prêtre de nos fraternités. La question n’est pourtant pas si évidente : est-ce la bonne solution pour permettre des relations ajustées entre les deux fraternités de frères et de sœurs ? Est-ce cohérent avec l’appel vocationnel des frères prêtres ? Lors d’une visioconférence,  tous les frères prêtres ont amorcé une discussion autour de ces charges pastorales relevant des missions de chapelain ou de recteur. Cette thématique touche aussi les autres frères et sœurs. In fine, il s’agira de préciser la place du ministère ordonné dans nos communautés et la manière de l’exercer aujourd’hui et demain.

L’ensemble des frères continuera ce travail  en assemblée lors de notre rencontre d’été à Burtin. Nous visons alors à prendre de premières options sur ces deux sujets, pour nous permettre de progresser ensuite sur les autres chantiers.

Frères Grégoire et Marc-Abraham

QUELQUES CHIFFRES-CLEFS     

A ce jour, les Fraternités monastiques de Jérusalem comptent 110 sœurs et 46 frères au total, répartis sur 10 implantations 
       – en France : Paris, Strasbourg, Vézelay, Le Mont-Saint-Michel et Magdala ;
       – en Italie : Florence et Rome ;
       – en Allemagne : Cologne ;
       – en Pologne : Varsovie ;
       – au Canada : Montréal.

REVUE DE PRESSE     

Le processus de discernement et réforme suscite l’intérêt des médias. Fidèles à l’esprit de transparence qui irrigue nos travaux, nous avons fait le choix de vous diffuser dans cette lettre des articles, positifs comme négatifs, qui ont pu être publiés depuis notre dernière communication :

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